La mutinerie de Buenos Aires

Cette histoire n’est pas banale et commence dès 1991 quand Diego Maradona est arrêté par la police italienne après avoir été contrôlé positif à la cocaïne. La sanction est sans appel pour la FIFA : suspension de 15 mois. Et pendant plus d’un an cette sanction va virer à la guerre entre Diego Maradona et le président de la FIFA, Joao Havelange, qui ne supporte plus les déclarations de Diego et veut faire de son cas un exemple de fermeté. Quitte parfois à sombrer dans le ridicule comme vous allez le voir. L’histoire commence un an plus tard, le 11 janvier 1992 avec le décès tragique de Juan Gilberto Funes. Funès était un très bon attaquant argentin, après avoir remporté la Copa Libertadores avec River Plate en 1986 et un passage express dans le football grec, celui qu’on appelait « le buffle » dut mettre un terme à sa carrière en 1990, quand les médecins de l’OGC Nice, où il s’apprêtait à signer, lui diagnostiquèrent une insuffisance cardiaque. Funès voulut s’obstiner et jouer à Boca Juniors, mais là aussi les docteurs argentins lui refusèrent aussi l’autorisation. Funès retourna alors à San Luis sa province natale du nord de l’Argentine, et commença la construction d’une école de football. Il ne put jamais la terminer, en effet le ballon lui manquait trop et il s’était mis d’accord avec Velez pour une dernière pige. Après 25 rencontres disputées avec le Velez Sarsfield et malgré plusieurs opérations, il décédait en ce mois de janvier 1992. Le jour de l’enterrement, Maradona « le banni », promettait à sa veuve d’organiser à Buenos Aires un match à la mémoire de son époux. La recette servirait à payer les 50 000 € manquants pour terminer la construction de l’école de football.
Diego prend son agenda, son téléphone et contacte ce qui se fait de mieux alors dans le championnat argentin : Alberto ACOSTA, Diego LATORRE,, Sergio VASQUEZ, José-Luis VILLAREAL, Carlos ENRIQUE, Blas GIUNTA, Oscar RUGGERI, Claudio « Turco » GARCIA, David BISCONTI, Alberto MARCICO, Navarro MONTOYA, Carlos TAPIA, Ricardo GIUSTI, Roberto CABANAS, José-Luis CHILAVERT et même l’uruguayen José BATISTA, célèbre pour avoir reçu en coupe du monde un carton rouge au bout d’une minute de jeu. 
Bien sûr Diego fait la démarche personnellement et il omet sciemment de demander l’aide de l’AFA (Association du football argentin) afin que le match ne tombe pas sous l’égide de la FIFA. Programmé le mercredi 15 avril 1992, la rencontre, avec la présence de Diego sur le terrain, devait attirer plus de 50 000 personnes dans le stade de Velez Sarsfield, le dernier club de Funès. Mais le mardi 14 avril 1992, soit la veille de la rencontre, l’AFA recevait un fax de la FIFA, Havelange ne baissait pas la garde et promettait : « Tout joueur participant à ce match avec Maradona pourra recevoir les sanctions prévues par le règlement de la FIFA ». En clair : un an de suspension internationale. A un an de la prochaine Copa America et avec que des internationaux sur la pelouse, c’est plus qu’une épée de Damoclès que la FIFA vient de brandir au-dessus de la tête de la fédération argentine.

Diego face à l’intransigeance et la bêtise aveugle de l’organisme international, décida de renoncer et l’annonça à la presse le soir-même qu’il ne jouerait pas le lendemain. Du coup le jour du match, les tribunes du stade de Velez n’étaient garnies que de 15 000 personnes environ, laissant tout de même une recette de 100 000 $ qui permettra de terminer la construction de l’école. Mais le happy-end de cette histoire n’est pas terminé. A l’heure du coup d’envoi et à la plus grande surprise générale, Maradona pénétra sur la pelouse vêtu en footballeur. Un double évènement surprise car tout d’abord cela faisait plus d’un an qu’il n’avait pas foulé une pelouse de football pour un match et aussi parce que tout le pays connaissait les risques de son apparition. En fait dans les heures précédant la rencontre, les joueurs convoqués avaient organisé la riposte sous la conduite de Ruggeri (coéquipier de Funès à River en 1986) et Gareca (l’actuel entraineur de Velez et coéquipier de Funès au moment du drame). Réunis dans un hôtel du centre de Buenos Aires, ils tinrent ce langage à Diego : « Tu joues. Nous assumerons les conséquences ». Prévenu de la « mutinerie », les dirigeants des principaux clubs (Racing, independiente, Rosario Central… tous engagés dans les coupes sud-américaines), essayèrent de les en dissuader. En vain. Dans l’urgence de la situation, Julio Grondona, président de l’AFA va même jusqu’à avancer les 50 000 $ pour régler les frais du chantier de l’école et de reporter le match deux mois plus tard, à savoir au 2 juillet, après la fin de la suspension qui expire le 30 juin 1992.  Encore en vain, l’affaire n’était plus depuis longtemps une question de lettre ou de date mais d’esprit.

Irrités par l’autoritarisme de la FIFA et surtout déterminés à tenir la promesse faite à la famille Funès et à rendre au joueur, au coéquipier, à l’adversaire, à l’ami décédé, l’hommage qu’il méritait, les joueurs entraient en rébellion et faisait corps avec Diego. Le mouvement recevait le soutien de Carlos Heller, vice-président de Boca Juniors, mais surtout car il ne décourage pas de faire revenir Diego à la Bombonera dès la fin de sa suspension. Pour tous les autres dirigeants, la réponse était immédiate de faire constater par huissier qu’ils étaient totalement étranger à l’organisation du spectacle. L’AFA publia même un communiqué affirmant qu’elle n’avait pas autorisé le match. Les joueurs eux avaient trouvé la parade pour que le défi ne ressemble pas une immense gifle expédiée à distance à Joao Havelange. En effet tous les acteurs sur le terrain décidèrent de donner à leur match le caractère le moins officiel possible, se démarquant notamment des règles internationales. Cette parade se traduit par deux astuces. La première toutes les rentrées en touches se feront au pied et la seconde, une des deux équipes jouera, pendant un moment, à 12 joueurs.

Maradona joua donc cette rencontre et malgré une condition encore au-dessus de  son poids de forme, joua même très bien. Pendant une mi-temps, son talent émerveilla le public, inscrivant deux buts et en offrant deux autres à Alberto Acosta et Ortega Sanchez. Les bleus de Maradona l’emportèrent 5-2 face aux blancs de Beto MARCICO. Dans la tribune, l’épouse de Funès avait du mal à contenir son émotion. L’œuvre de son mari verra le jour. Après la rencontre, Diego était heureux comme un enfant, n’oubliant pas non plus de régler ses comptes : « Aujourd’hui, les joueurs de foot ont commencé à grandir. Nous avons mis un pied sur la tête de la "main noire" (allusions aux dirigeants de la FIFA). Cette fois nous avons battu le pouvoir. Mes collègues se sont sentis affectés dans leurs droits et ils ont décidé de ne pas courber la tête. Il était inconcevable que je ne joue pas ce match. J’avais promis à l’épouse de Juan d’entrer sur la pelouse avec son fils de 3 ans qui cherche son papa tous les jours, et je suis heureux d’avoir pu tenir la promesse grâce aux autres joueurs. La FIFA est inhumaine, ses dirigeants pensent comme des robots mais, nous, nous sommes des êtres humains ».

Ricardo GARECA lui prouvait déjà qu’il avait le sens des responsabilités et déclarait « La FIFA n’a pas à mettre son nez dans cette histoire, nous joueurs, avons loué le terrain et fourni des billets d’entrée. Il n’y a rien d’officiel, même pas l’arbitre. Alors, Diego pouvait jouer ». Sergio VASQUEZ, libéro de la sélection, disait : « La FIFA doit parfois laisser ses règlements de côté. On n’a cause de tort à personne ». Carlos HELLER, le dirigeant de Boca, seul à avoir pris les causes des mutins, y va de son chapelet aussi pour réclamer la clémence des instances internationales : « Il ne doit pas y avoir de sanction car il s’agissait d’une partie hommage qui, à aucun moment n’a essayé de violer l’esprit d’une sanction ». LA FIFA pris mal l’affaire, on s’en doute et même si elle ne prendra aucune sanction après cette rencontre caritative, elle décida de passer à l’étape supérieure dans sa guéguerre privée avec El Pibe de Oro. Cela se traduira pas une ingérence dans son contrat avec Naples et son transfert à Séville mais surtout elle ne laissera aucune chance à Diego de s’expliquer en 1994 quand il sera coupable d’avoir pris de l’éphédrine. En tout cas cette histoire démontre que les joueurs argentins ont réussi avec un peu de solidarité à faire entendre leur voix face à une FIFA de plus en plus isolée et aveugle dans sa tour d’Ivoire et que Diego a vécu ce jour-là le plus beau jour de ses 15 mois de sa vie de suspendu. Il a même démontré pendant 90 minutes qu’il pouvait redevenir le meilleur joueur du monde, il a remporté une bataille dans sa guerre contre la FIFA, même si celle-ci comme on le disait, était loin d’être finie.
Diego au cours de cette rencontres des "Rebelles"

2 commentaires:

  1. Encore une bien belle histoire...ah, Pibe, comme tu manques au football ! Pas seulement ton génie, mais aussi ton personnage.
    Alex, j'ai un souci : j'ai découvert ton blog il y a quelques semaines, j'étais en congés et malade. La première fois, je commence à "feuilleter" tes articles...je me suis rendu compte cinq heures plus tard que je n'avais pas lâché mon écran...j'ai raté mon RdV chez le toubib ! (Et ma douce moitié de m'engueuler, du coup) Ah, la belle époque des 80's... tous ces joueurs qu'on avait un peu oubliés...quel pied (hum), ton blog !

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    1. Salut Richard. Dis à ta douce que j'assume l'entière responsabilité. La prochaine fois elle pourra se défouler sur mon compte.
      en tout cas merci pour ce commentaire

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