Pour changer un peu du football, voici un petit sujet de rugby. Un sujet inspiré par Philippe SELLA qui pour ESPN
Classic revenait sur la formidable tournée de l'équipe de France en 1994 en Nouvelle-Zélande.
Dans ce sujet Philipe SELLA revenait sur son immense carrière avec l'équipe de
France. Après la déception de la coupe du monde 91, la plus belle page des
bleus fût sans doute cette tournée triomphante. Pourtant en ce début d'été
1994, personne n'imagine que les Français seront capables de faire aussi bien
que les Springboks (1937), les Lions britanniques (1971) et l'Australie (1949
et 1986) seules équipes à avoir remporter une série de tests en
Nouvelle-Zélande depuis la création de ce sport. La première manche se déroule
le 26 juin au Lancaster Park de Christchurch. Et il y a, à cette occasion, de
quoi fêter les "retrouvailles". Jonah Lomu devient le plus jeune All
Black de l'histoire (19 ans), John Kirwan le plus capé (59 sélections) et
Philippe Sella, le premier joueur au monde à atteindre les 100 sélections. Grâce
à leur pack et notamment à leur 2e ligne Olivier Merle, qui gagnera ce jour-là
son surnom d'homme et demi ("Man and a half"), les Bleus de Pierre
Berbizier réalisent un match plein, on pourrait même dire un match parfait et
signent la plus large victoire (encore à ce jour) de leur histoire face aux
Blacks (22-8). SELLA est ivre de bonheur et reste sur la pelouse du Lancaster
Park de longues minutes. Il regarde le score puis prend un bain de foule et
signe des autographes. Pourtant le capitaine est attendu en conférence de
presse mais Philippe St-André vient rassurer les journalistes « il profite
et il arrive messieurs ». Quand le capitaine Sella débarque en salle de
presse il y a son homologue néo-zélandais Fitzpatrick qui ne fera pas de long discours : « Bravo
messieurs les français aujourd’hui vous avez été meilleurs » puis après
avoir marqué une pause « mais dans une semaine à l’Eden Park c’est l’enfer
qui vous attend ».
Cette Phrase elle reste dans l’esprit de Sella mais
aussi dans celle du nouvel entraîneur de l’équipe de France, Pierre Berbizier.
Les bleus s’en vont faire une troisième mi-temps méritée mais dès le lendemain,
Berbizier les mets dans le bain avec un très long footing qui mets les organismes
à rude épreuve. Sella se souvient « la saison avait été longue et le corps
n’en pouvait plus, j’étais à la ramasse lors de ce footing mais c’est là qu’on
a pris conscience de cette phrase "dans une semaine à l’Eden Park c’est
l’enfer qui vous attend" et ce footing ça nous a permis à tous de se
préparer à ce match, c’était le moyen de Pierre Berbizier de nous dire que la 3ème
mi-temps était finie et qu’il fallait préparer un match encore plus difficile ».
D’autant qu’en face ça ne rigole plus du tout. Les All-Blacks pas épargnés par
la presse et mis sous pression par des séances d'entraînements à huis clos sont
prêts pour le combat le jour J. L’Eden Park, véritable temple du rugby, n’attend
qu’une chose : voir une revanche. Car le public néo-zélandais l’a très mauvaise
depuis une semaine, il faut dire qu’il n’avait
rarement vu ses All-Blacks se faire autant balader et d’autant plus à la
maison. Le Haka donne le ton, les français savent que le combat va commencer.
Allez je vous laisse le revoir cet Haka et franchement faut quand même en avoir
dans le slip pour faire face car tu sais qu’en face t’as 15 mecs qui ne veulent
qu’une chose… te marcher dessus :
Pourtant avant le début de la rencontre, les bleus sont en confiance. La veille à Auckland au cours du dernier entrainement Philippe SELLA raconte cette sérénité. « On s’entrainait sous une pluie battante et pourtant au cours de cet entrainement je n’ai pas le souvenir qu’on ait fait tomber un seul ballon. Les courses étaient parfaites, on était en harmonie. Il y avait comme un sentiment de plénitude ».
Lorsque le coup d’envoi est donné, le match est sans surprise, les plaquages
sont rugueux, les All-Blacks chargent sans cesse mais les français sont
préparés et subissent les charges et eux aussi savent mettre des tampons quand
il le faut. Mieux juste avant la mi-temps, Emile N’TAMACK intercepte un ballon et file 70
mètres sans que personne ne puisse le rattraper et aplatir le ballon entre les
perches. A la mi-temps la France vire en tête 13-9, l’exploit est à portée de
main. Mais en seconde mi-temps c’est une furia black qui pousse. Les avants
multiplient les charges et doucement mais sûrement les All-Blacks reprennent l’avantage
(20-16) grâce à un essai en force de
toute la première ligne. Les français n’ont pas démérités mais la puissance des
blacks a fait la différence, il ne reste que 3 minutes mais les jambes sont
lourdes. Et pourtant, et pourtant sur un long ballon, Philippe Saint-André se
retrouve dans ses 22 mètres et au lieu de taper un long ballon il a « cette
folie » (les propos de Sella) de relancer et d’échapper à 4 blacks et
surtout de garder le ballon. Pour Philippe Sella c’est ce moment qui est la
clef de tout car grâce à Saint-André qui fixe la défense black et qui ressort
son ballon proprement, c’est à partir de ce moment-là que tout s’enchaine et
que ça va très vite. Comme la veille à l’entrainement les passes sont
parfaites, les courses se croisent et se recroisent comme dans un ballet, comme
si les joueurs français avaient déjà joué cette scène. C’est ce que les anglais
appellent le French Flair et c’est magnifique. Je me tais et je vous laisse
admirer.
Ce qui étonnera le plus Sella sur cette action c’est la fraîcheur physique de tous les bleus alors qu’ils étaient sur les rotules. Une saison de 11 mois et là c'était la dernière minute, du dernier match et pourtant tout le monde galopait comme si c'était le début de la saison, le début de la rencontre. Pour lui c'est cette plénitude de leur rugby, cet élan collectif qui a fait que chacun ait réussi à repousser ses limites pour marquer cet essai qui est rentré dans l'histoire du rugby français. Deylaud transforme l’essai, le match est fini, la France l’emporte 23-20 dans un Eden Park estomaqué mais admiratif. Le public se lève te applaudit ces "Flying Frenchmen" et le lendemain le quotidien britannique Sunday Times appellera cet essai « The Try of the Century » (« L’essai du siècle »).
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