Mexico 86 : Présentation de la RFA

Paris est la plus belle ville du monde. Sauf peut être pour Franz Beckenbauer. Enfin, il ne sait pas encore très bien lui-même... Pourquoi ? C'est à Paris, juste après la finale du Championnat d'Europe 1984, qu'il a pris l'une des décisions les plus importantes de sa vie. La plus bizarre aussi se disait-il à l’époque. « Un soir, j'ai reçu un coup de fil du président de la fédération allemande. Il me proposait le poste de sélectionneur national. Je n'ai pas eu le temps de réfléchir. Autant j'ai été surpris par cette démarche, autant je le fus par ma réponse. » Un oui. Oui à Paris. Oui au pari. « J'ai beaucoup stressé après parce que j'étais persuadé d'avoir fait une bêtise. » Aujourd'hui, deux ans après, une qualification pour le Mundial et beaucoup d'incertitudes plus tard, Beckenbauer ne sait toujours que penser, alors que le foot allemand traverse une crise jamais vu avec un groupe miné de l'intérieur. « Je n'ai plus le temps de regretter. Je vis très sérieusement, très concentré. Je ne pense qu'au prochain match, je regarde la télé, je voyage. Depuis deux ans, il n'y a pas eu une journée où je n'ai pas pensé à la sélection. Je ne le supporterai pas pendant toute une vie. »
Déjà fatigué, Franz, alors qu'il vient de prolonger son contrat jusqu'en 1988, date de l'Euro allemand ? Il ne l'admettra jamais. Même s'il avoue volontiers que le « travail » est plus difficile qu'il ne le croyait. « Je n'étais pas entraîneur. Je n'en avais pas l'expérience, et, au début, je n'étais pas très à l'aise. La première fois que j'ai eu l'équipe en main, je ne savais pas trop quoi dire et quoi faire. Maintenant, je suis habitué, cela ne me tourmente plus. Mais il est plus facile d'être joueur que sélectionneur ». Continuons de dégager les lignes de force sur lesquelles est bâti le nouveau Kaiser, entraîneur de l'équipe d'Allemagne, mais aussi dépositaire des fantasmes de puissance et de gloire d'une nation qui, en matière de ballon rond, a dû apprendre la modestie. Joueur, Beckenbauer pouvait se reposer. Il ne le peut plus. Il pouvait aussi raconter des bêtises sans se faire reprendre. Cela aussi a changé. Chacune de ses phrases prend une importance démesure. Et Beckenbauer n'est pas du genre à mâcher ses mots. Parfois, l'empereur n'est pas diplomate du tout. « Le travail avec les journalistes n'a pas bien fonctionné ces derniers temps. Tout le monde veut des interviews avec moi et je ne peux pas refuser. Au Mexique, j'accorderai une heure, pas une minute de plus! Ces derniers temps, je ne fais que bavarder. Je n'ai même plus le temps de réfléchir » Réfléchir. Le mot est lâché. Beckenbauer sait qu'il en a terriblement besoin s'il veut rendre au football allemand son renom d'autrefois.
Car, hormis la récente réussite face aux Hollandais (3-1), les matches de préparation avant le départ pour le Mexique l'ont laissé pour le moins pensif. Le match nul contre les Yougoslaves (1-1) comme la courte victoire (1-0) obtenue contre la Suisse, le 9 avril dernier. Manifestation apparente du malaise, ce soir-là : Beckenbauer a supprimé « l'heure bleue ». Une vieille tradition de la presse allemande qui veut qu'après chaque match, une fois rentré à l'hôtel, le sélectionneur discute à bâtons rompus avec les envoyés spéciaux. Généralement entre minuit et une heure du matin. Après le triste spectacle du St Jakob Stadion, Franz n'avait plus le cœur à philosopher. Le temps s'était arrêté sur le noir. Tous les témoins présents ont pu s'en rendre compte à la vue d'un spectacle insolite. Celui d'un sélectionneur troublé et muet, gesticulant derrière les vitres fumées de la salle d'un restaurant du Park Hôtel et admonestant sévèrement des joueurs qui piquaient du nez dans leur assiette. Ce n'était là que la partie visible de l'iceberg. On avait vu une équipe de RFA vidée de sa substance, mais sous la surface de l'évidence se cache un vide à donner des sueurs froides. Dans une interview accordée il y a peu Il. Werner-Johannes Müller, du Kicker-Sportmagazin, Beckenbauer avouait : « Quand, avec Berti Vogts et Horst Koppel, nous avons effectué un premier tour d'horizon pour la Coupe du monde, nous nous sommes aperçus que nous ne disposions que de vingt-six ou vingt-sept joueurs de classe internationale en RFA.» Qu'est-ce qu'un empereur sans garde royale? Et sans général d'empire? Beckenbauer attendait (espérait ?) Schuster. Il n'a vu venir personne. L'histoire a boucle ce chapitre et quand Beckenbauer a annoncé la désertion du blond de Barcelone, lors d'une émission de télévision, le public a applaudi. Spontanément. Il faut dire que la dernière retraite de Schuster n'avait pas été très élégante. Démentant avoir demandé une somme de trois millions de francs à la fédération pour jouer le Mundial, il avait prétendu se l'être vu proposer par Adidas. Une grimace de trop. Laquelle la marque aux trois bande avait répondu ironiquement: « A ce compte là, on se demande ce qu'auraient pu exiger Schumacher ou Littbarski ! ».
Le moral de Beckenbauer descend parfois très bas, « C’est vrai, nous avons des problèmes. On ne peut pas le cacher. » Et quand il regarde en arrière, devant les deux visages que l'Allemagne lui a présenté, la croyance en certaines valeurs immuables du joueur allemand le sauvent du désespoir, « Quand je fais le bilan de ces deux dernières années, j'en retiens une chose: si mes joueurs sont dans l'obligation de bien jouer, ils jouent bien. » Sur ce sujet, le Kaiser présente des arguments valables. « Je me suis souvent demandé pourquoi nous ne pratiquions pas toujours le même jeu que lors du match aller au Portugal (2-1) ou en Tchécoslovaquie (5-1), Ce furent des matches merveilleux, contrairement aux matches retour, où nous avons été plutôt lamentables. En fait, les Allemands ont besoin de la pression, c'est un problème psychique, Quand ils considèrent l'enjeu comme dérisoire, ils n'ont plus de volonté. » Mais cela n'excuse pas tout. Surtout pas l'indigence de certaines productions en match amical. En Suisse, par exemple, qui doit probablement constituer la référence négative de ces dernières années. le Kaiser, l'homme au toucher de balle feutré, le virtuose aux pleins et aux déliés plus autrichiens que germaniques, avait mal au ballon. « Ce soir, déclara t’il après le match, j'ai appris comment il ne fallait pas jouer au football ». Et à un journaliste bienveillant qui soulignait la bonne tenue physique de son équipe, il avait répondu, le rictus figé: « Oui, bien sûr, ils ont courus, ils se sont battus. Mais tout le monde peut le faire.» Alors Beckenbauer agite les solutions dans sa tête, insensible aux soupirs d'un Magath qui se plaint : « Le Kaiser est trop sévère », comme aux doléances d'un Matthaus qui remarque: « Nous n'avons pas assez de temps pour nous entrainer. Et puis, on ne se connait pas assez. Les joueurs changent souvent et la plupart du temps je ne sais pas ce que va faire mon voisin. » De toutes ces expériences Franz a dégagé une idée forte. Une conviction. « Je ne prendrai que des joueurs qui ont la force, la technique et la condition qu'on demande aujourd'hui aux internationaux. En un mot, je veux des mecs ». La raison en est simple, Beckenbauer connait les exigences d’un mondial au Mexique en plaine cœur de l’été: « Au Mexique, en altitude, sous la chaleur à laquelle nous, Européens du Nord, ne nous habituerons jamais, il faudra que les joueurs soient très forts mentalement, capables de résister à tout et de se dépasser dans les moments difficiles. »
En fait, Beckenbauer, et il le sait, aura surtout besoin d'exemples, de leaders, D'un leader, en fait, Dans son esprit, cet homme, c'est Karl Heinz Rummenigge, son capitaine. L'homme en qui il place toute sa confiance. Même s'il n'a jamais véritablement assumé ce rôle, que ce soit en Espagne ou surtout lors de l'Euro 84. De cela aussi Beckenbauer est conscient. « Il va de soi que je dois encore parler sérieusement avec Kalle. J'attends beaucoup de lui au Mexique. Comme joueur et comme capitaine. C'est lui qui doit enflammer ses partenaires, pas l'inverse ». Le problème, c'est que Beckenbauer est très exigeant, tout en n'acceptant aucune concession. « Etre appelé en équipe nationale doit redevenir un honneur, et par conséquent, un devoir. Personne ne peut y revendiquer une place de droit. Je ne veux plus de sénateurs », confiait-il à L’Equipe Magazine, en septembre 1984, Aussitôt dit, aussitôt fait. Que Rummenigge s'accorde un retard au petit déjeuner lors d'une concentration, et le voilà crucifié par le Kaiser. « Nous sommes une grande famille. Si j'accorde une dérogation à l'un, puis à l'autre, puis à d'autres encore, un jour je vais me retrouver tout seul à table ». Dans le projet qu'a conçu Beckenbauer, il n'y a pas de place pour les divas. « Ces derniers temps, "Kalle" a joué à « l'italienne », c'est-à dire qu'il fait trop de pauses pendant un match. Au Mexique, je ne tolérerai pas cela. » Si Beckenbauer règle ce problème, il s'épargnera quelques migraines. Car ce ne sont pas les raisons d'avoir mal à la tête qui lui manquent. De l'attaque inefficace ces derniers temps (mais cela fait aussi partie du cas Rummenigge) à la défense indéterminée (Herget ou Augenthaler en libero ? K,-H, Förster ou Jakobs, en stoppeur ?), en passant par un milieu de terrain sans caractère et surtout sans génie depuis Netter, Overath et Breitner. « Nous n'avons pas de numéro 10, constate le Kaiser. C'est notre gros problème, comme celui de beaucoup d'autres nations d'ailleurs. Je ne crois pas à la révélation d'un jeune. Il faut de l'expérience. Pour moi, Magath reste le plus apte à tenir ce poste.» Mais pas forcément le plus convaincant. « C'est pour cela qu'il faut répartir les responsabilités sur plusieurs épaules. » Un berger et quelques moutons suiveurs bien charpentés, voilà ce que Beckenbauer s'ingénie à trouver. Pour le moment, il a tout juste dégagé deux équipes totalement différentes, suivant qu'il a une approche offensive ou défensive du match à jouer, Malgré la proximité de l'échéance, Franz se force à l'optimisme. « Aucune équipe de RFA n'a jamais terminé un tournoi dans la composition qui était la sienne lors du premier match. L'équipe, je la trouverai au Mexique. » Et quand on lui fait remarquer que Michel Hidalgo posait récemment comme principe, dans le Kieker, qu'une bonne équipe devait exister avant un tournoi pour être exceptionnelle pendant celui-ci, il ne peut que répondre: « Oui, c'est aussi mon opinion. Le Mundial est dans onze jours, et l'équipe d'Allemagne n'existe pas encore ». Le Kaiser se repose-t-il sur la chance ? « J'en ai eu dans ma vie, mais j'ai toujours travaillé pour l'avoir. Je ne me suis jamais assis dans mon salon la fenêtre ouverte en criant: "Viens, oiseau du bonheur, viens !". Ceux qui ne travaillent pas n'obtiendront rien ». C'est là son credo, est il n'en changera pas. « C'est sûr, nous étions bien meilleurs en 1974. Aujourd'hui, la situation n'est pas critique. Elle est sérieuse. Mais comme nous étions montés pas à pas avant d'être champions du monde, nous remonterons pas à pas.» Jusqu'à l'Euro 88 ? C'est en tout cas pour cela qu'il a re-signé. Reste à savoir si le terrain sous ses' pieds sera toujours aussi plat. La route du purgatoire, comme celle de l'enfer, est pavée de mauvaises intentions. Pour l'instant, pour la presse dans le cœur de l'opinion publique ou dans la tête des joueurs, Beckenbauer reste le Kaiser. Mais, dans les colonnes impitoyables des archives, il est aussi celui qui a perdu le premier match éliminatoire d'une Coupe du monde avec l'équipe d'Allemagne. «Bien sûr, j'en suis navré. Nous en étions tous navrés. Mais l'essentiel, était de se qualifier ». Logique élémentaire, incontournable. Mais attention quand les masses ont faim, elles oublient la logique. Quoi qu'il arrive, le Kaiser poursuit la sienne, celle contenue dans ces quelques mots, proposée aux journalistes autant que lui-même, pour justifier sa nouvelle responsabilité: « Je ne voulais pas passer le reste de ma vie à regarder les montagnes autrichiennes et à jouer au golf. » Le jeu auquel il joue actuellement est bien plus dangereux. Il contient à la fois toutes les joies et toutes les peurs du monde. « J'éprouve beaucoup de joie, car participer à une Coupe du monde est toujours un bonheur fou.» Mais je suis plus tendu que les autres fois. Joueur, je n'étais responsable que de moi. Sélectionneur, la responsabilité est terriblement plus élevée. Et ça, je le ressens. » En tout cas si le Kaiser à raison sur un point c’est que lorsqu’il faut gagner les allemands gagnent et il ne faut surtout pas oublier une phrase au sujet du foot allemand, moins célèbre que celle de Lineker mais tout aussi proche de la vérité. « Quand une équipe d’Allemagne a une mauvaise équipe elle va en finale et quand elle en a une bonne elle l’emporte ».

P.S : Comment Beckenbauer à t-il soudé son groupe avant le départ pour le Mexique ?
Tout simplement en réunissant tous ses joueurs sur un plateau TV et en poussant la chansonnette. Attention document aussi choc qu'étonnant.


P.S (n°2) : Comme d'habitude il y'a des petits loupés dans l'album Panini alors voici quelques joueurs rajoutés dans une mise à jour de 1994 (histoire d'être complet) :

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