Mexico 86 : Mohamed TIMOUMI

La vie d'un homme est inévitablement jalonnée de drames dont il souhaite à jamais laver sa mémoire. Le procédé le plus efficace pour vous convaincre de la très haute estime en laquelle Mohamed Timoumi est tenu par l'ensemble de ses compatriotes consiste malheureusement à évoquer, une fois encore, la gravissime blessure qui vint, le 9 novembre 1985, interrompre la carrière de celui qui quelques semaines avant de remporter le Ballon d'Or africain. Par cette sinistre journée d'automne, les Forces Armées Royales de Rabat en décousaient avec le Zamalek du Caire pour le compte des demi· finales de la Coupe d'Afrique des champions. L'heure de jeu atteinte, Timoumi vola en éclats sous les coups de hachoir perfides de Gamal, son cerbère égyptien. Victime d'une rupture ligamentaire à la cheville droite (lui le gaucher) et d'une fissure du péroné, le maître à penser des FAR et du onze marocain quittait l'arène étendue sur une civière. Moche! Il pénétrait sans transition dans un tunnel dont on ne le vit émerger plus de 6 mois après, lors d’un match amical contre les Irlandais du Nord. Ayant eu vent de l'effroyable catastrophe, sa majesté Hassan II, fervent amateur de football, enjoignit le colonel Driss Moulay, un des scalpels les plus fiables du royaume, de diriger l'intervention chirurgicale. Rien, aux yeux du roi, n'était trop beau pour rendre valide le héros national. Si l'anecdote qui précède n’à point suffi à vous convaincre, nous allons maintenant ouvrir le chapitre financier. Et franchement, si vous ne tombez pas à la renverse, c'est que vous êtes très forts! Avant toute chose, il vous faut fournir un léger effort d'imagination. Représentez-vous donc Michel Platini jouant en France pour un malheureux salaire de 10 000 F par mois. Les premiers éclats de rire parviennent à nos oreilles. Belle ineptie, on vous le concède. Le talent, croyez-vous, ne peut-être rémunéré à ce tarif là. Erreur ! Il faut savoir que Timoumi, jeune homme de vingt-six ans, au pied gauche surnaturel et aux inspirations géniales, est issu d'un milieu déshérité. Mohamed n'était qu'un adolescent lorsque la mort vint frapper son père. A la maison, il restait la mère, trois frères et deux sœurs. Jamais il ne les a laissés tomber. Aujourd'hui, Mohamed Timoumi porte le célèbre maillot rouge des FAR le club des militaires. Mais lui n'est pas militaire. Le football pro n'ayant pas encore droit de cité au Maroc, Timoumi est employé au secrétariat du palais royal. Un boulot bidon bien entendu. « Je n'ai jamais vu le secrétariat », avoue-t-il. Et devinez un peu combien le Platini maghrébin perçoit chaque mois. Environ 3 600 dirhams, primes comprises. Ce qui équivaut à 3 000 F chez nous! Deux fois le salaire moyen au Maroc. Une misère! Et n'allez pas croire à une galéjade. Une chance, Mohamed est célibataire. « Tout ce que je gagne, c'est pour ma famille », dit-il. Comme si son sacrifice était quelque chose de banal. Il n'empêche que la star marocaine a conscience d'être exploitée. Ou plus exactement sous-payée. « Je suis fier de défendre les couleurs du pays. Mais j'aimerais en tirer aujourd'hui une contrepartie financière . Je n'ai pas, jusqu'ici, gagné assez d'argent grâce au football. » Chaque nuit, le Phare de Rabat fait le même rêve. Il se voit bouclant ses valises pour partir à l'étranger. La gloire et l'argent en sus. En France, en Espagne ou ailleurs. Hélas! le rêve est invariablement interrompu au moment crucial. Interrompu et puis brisé. Des propositions, Timoumi en a déjà reçu des tas l'an passé. 
De Laval, Brest, Malaga, Séville ou Saragosse. « Mais, constate-t-il, les FAR et l'équipe nationale avaient trop besoin de moi pour me laisser partir. » Unique et irremplaçable ! Ce sont assurément les deux qualificatifs qui conviennent le mieux à Timoumi. Comme ce dernier déplorait son incapacité à s'expatrier, l'entraîneur du Maroc, qui se trouve être aussi celui de Timoumi aux FAR, le Brésilien José Faria (ancien joueur de Fluminense et sélectionneur du Qatar jusqu'en 1983) intervint pour tenir ce discours dithyrambique. « Si Tirnoumi quitte le Maroc, ce doit être pour rejoindre un grand club. Bordeaux ou Paris en France. Ou, mieux, le Real en Espagne. Je vous laisse imaginer les dégâts qu'il pourrait provoquer associé à un joueur comme Butragueno ». Malgré sa captivité, Mohamed Timoumi ne désespère pas de réaliser dès cet été ses desseins. Il est d'avis que le plus sûr moyen de parvenir à ses fins est de se montrer à son avantage au pays des sombreros. De permettre au Maroc, par un de ces coups de génie dont il est coutumier, de réaliser au Mexique un parcours aussi brillant que ses cousins algériens et camerounais, il y a quatre ans, en Espagne. Une libération pour services rendus, en quelque sorte. Mais le meneur de jeu marocain n'ignore pas qu'il est encore loin d'avoir recouvré la totalité de ses moyens. Vendredi dernier, Timoumi et ses copains subissaient les ultimes tests physiques, sur la piste d'athlétisme où Said Aouita, la star de l'athlétisme marocain, a coutume de s'entraîner. Nous constatâmes bien vite que sa jambe droite n'était pas encore totalement guérie. « Pour l'instant, reconnaît Mohamed, je ne dispose que de 80 % de mes moyens. Mais je ne me fais pas de soucis. li me reste quelques semaines avant la Coupe du monde. Et je peux vous assurer que je serai parfaitement au point début juin. »

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