Les Ratés Old School Panini : Drago VABEC

Après nos ratés volontaires sur Terry Butcher et Paul Gascoigne (Voir le sujet : Les Ratés Old School Panini : Terry BUTCHER) voici un nouveau loupé, un nouveau dérapage mais toujours contrôlé avec la vignette 76 de Drago VABEC. Alors pourquoi Drago VABEC ? Parce qu'on a de la suite dans les idées et qu'avec mon ami Johann, biographe officiel de l'ami Drago, depuis des mois on alimente une catégorie tout simplement appelée Drago VABEC sur Old School Panini. L'absence de Vabec à l'Euro 76 est une histoire qui dépasse le football et son jeu, une histoire qui s'ancre dans l'histoire et la vie politique yougoslave du temps de Tito. Donc quand j'ai eu l'idée de faire le projet de l'album OSP-EURO 1972-1992 rapidement je me suis dit il faudra y inclure des loupés pour faire comme les vrais et le premier qui m'est venu à l'esprit est Vabec et son histoire passionnante. Le document qui va suivre est entièrement rédigé par Johann et vous allez voir la chance qu'on a, car Johann a eu Drago VABEC au téléphone pour évoquer cet Euro 76 et sa non sélection, un grand moment et comme je vous le dis ça dépasse le cadre du football et ça nous aide à mieux comprendre pourquoi les générations tant talentueuses de la sélection yougoslave n'ont jamais gagné de compétition majeure hormis chez les jeunes. Bon assez jacté je laisse la place à l'ami Johann qui nous explique pourquoi Vabec n'a pas participé à la phase finale de l'Euro 76 dans son pays avec des explications du principal intéressé en exclusivité pour Old School Panini

« La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti. »

Cette phrase de Tito résume assez bien ce qu' était la Yougoslavie : un agglomérat de peuples dont l'union ne pouvait être qu'artificielle et maintenue par la force, loin de la conscience nationale unique qu'espérait Sima Markovic, secrétaire général du PC Yougoslave dans les années 20. Ramenée à la sphère footballistique, la gestion d'une telle réalité demeurait un problème épineux pour les différents sélectionneurs yougoslaves : ils avaient à leur disposition un formidable réservoir de talents (les « Brésiliens de l'Europe ») mais, pour eux les critères sportifs ne pouvaient être les seuls pris en compte : politique et football ne pouvaient être qu'étroitement liés. Si on y ajoute le fait que le pouvoir était aux mains des Serbes, ce qui induisait forcément un sentiment d'injustice chez les autres nations (sentiment exprimé par exemple lors du Printemps croate en 1971), on comprend mieux les performances, le plus souvent décevantes, de l'Equipe nationale Yougoslave au fil des décennies.
 La carrière internationale de Drago Vabec pâtit sans aucun doute de ce contexte : il serait d'ailleurs intéressant d'imaginer ce qu'aurait pu être une équipe nationale de Croatie dans les années 1970... Mais le fait est qu'à la veille de cette phase finale de l'Euro 1976, l'histoire semble se répéter pour l'ailier gauche du Dinamo Zagreb. Privé par Miljanić de Coupe du Monde en 1974 pour des raisons plus que discutables (Voir le sujet : le but de Drago Vabec contre la Suède), Drago Vabec titulaire lors du quart de finale aller face au Pays de Galles au Stade Maksimir (et auteur d'une superbe passe décisive) n'est même pas appelé sur le banc des remplaçants pour la phase finale de l'Euro 1976 par Ante Mladinić . Détail qui a son importance : la demi-finale face à l'Allemagne de l'Ouest se déroule à Belgrade. « Si le match avait eu lieu à Zagreb, j'aurais sûrement été titulaire. A l'époque, c'était comme ça...» confiait-il encore récemment. En plus de ce genre de décisions, liées à la situation géopolitique yougoslave, Vabec devait faire face à plusieurs autres obstacles : l'Hajduk Split, le grand rival croate du Dinamo, champion en 74 et 75, vice-champion en 76  était largement représenté en équipe nationale. Ce qui avait deux conséquentes fâcheuses pour Vabec : d'une part un quota de joueurs croates déjà très élevé (5 au coup d'envoi du match contre la RFA) et probablement à la limite de l'acceptable d'un point de vue politique. D'autre part  l'absence d'appui en  interne : « Vous savez, quand un joueur de Hajduk n'était pas sélectionné, ce qui se passait, c'était qu'il y en avait six d'autres qui ne voulaient pas venir jouer non plus. » De manière plus directe il l'a exprimé ainsi plus récemment, dans un français simpliste : « J'étais seul contre cinq ou six joueurs de l'Hajduk, c'était très dur pour moi ». Et puis, bien sûr,  l'éternel Dragan Dzajic, star mondiale, magicien du ballon rond et idole du peuple serbe, qui lors de cette demi-finale tenait l'aile gauche de l'attaque pour la 81ème fois. Lorsque est évoqué le cas Vabec, cette malchance d'avoir été en concurrence avec le meilleur ailier gauche du monde à l'époque, revient souvent. Ainsi, Dusan Nenkovic, serbe lui-même, et entraîneur de Brest de 1982 à 1984 disait de Drago Vabec  « De tous les joueurs que j'ai eus à diriger durant toute ma carrière, c'est certainement le plus talentueux. Sans Dzajic, il aurait eu une grande carrière internationale en équipe de Yougoslavie. » Rappelons encore une fois que Vabec n'a jamais eu la chance de jouer à son meilleur poste en équipe nationale.

Le cas Vabec apportera en tout cas de l'eau au moulin de ceux qui présument que les joueurs du Dinamo Zagreb ont été à une certaine époque victimes d'une forme de discrimination. Prenons l'exemple de l'équipe du Dinamo de la deuxième partie des années 60. Composée de nombreux joueurs de talents, elle est la première équipe yougoslave à remporter un trophée européen (la Coupe des Villes de Foire en 1967) et se place toujours sur le podium du championnat. Pourtant lors de l'Euro 1968 seuls Belin et Ramljak feront le voyage en Italie et aucun des deux ne jouera la moindre minute. « Si j'avais défendu les couleurs d'Hajduk, de l'Etoile Rouge ou du  Partizan, j'aurais  probablement au moins une fois a été la Coupe du monde » ne manquera d'ailleurs pas de dire le légendaire gardien du Dinamo Zlatko Škorić . Notons qu' il faudra ensuite attendre la Coupe du Monde 1982, soit 20 ans depuis la Coupe du Monde 1962, pour voir un joueur du Dinamo sur le terrain lors d'une phase finale (Velimir Zajec champion cette année-là avec les Bleus de Zagreb)!
Škorić, Belin, Ramljak, Bogdan, Vabec, Kranjčar, Mlinarić, Eduardo, Cerin, Zambata, Cvitanović, Stinčić, Ćorluka, Bišćan, Bručić, Perušić, Lamza, Wölfl : autant de grands joueurs du Dinamo de différentes époques qui n'ont jamais participer à une Coupe du Monde, la plupart du temps sacrifiés au nom de « l'intérêt supérieur ». A titre de comparaison, on n'en trouve guère que 7 au sein de l'Hajduk Split : Matošić, Džoni, Holcer, Žungul, Slišković, Primorac i Gabrić.

Notons enfin avec amusement que pour la Coupe du Monde 2006, Zlatko Kranjčar le sélectionneur croate, se passa des services d'Eduardo au prétexte qu'il était trop jeune (ce qui ne l'empêcha pas d'être élu joueur croate de l'année!). Mais cela ne l'empêcha pas de sélectionner son fils Nico et Luka Modrić, pourtant plus jeunes que le croate d'origine brésilienne. Cet épisode (déclencheur d'une polémique en Croatie) fit dire à un supporter du Dinamo, un certain Zvone, que « Dudu » rejoignait ainsi la tradition de virtuoses maudits du Dinamo, tels que Vabec, Kranjčar lui-même (victime avant d'être bourreau) et Mlinaric, tous condamnés à assister aux grandes compétitions internationales dans les tribunes... ou devant leur télévision. Pourtant la forme de Vabec est éblouissante lors de cette saison 1975-76 et le joueur semble incontournable : Tempo, l'hebdomadaire sportif de Belgrade, lui consacre même un article intitulé  « Les buts à la Vabec ». Car non seulement l'ailier croate marque beaucoup (19 buts en championnats -seul Nenad Bjekovic le devancera lors de cet exercice, 5 en coupe de Yougoslavie, un en sélection) mais en plus ses réalisations sont superbes et « impressionnent même les plus grands connaisseurs. » Dans cet article l'entraîneur du Dinamo  Mirko  Bazića nous dit ce qu'il pense de son ailier gauche : « Vabec est un footballeur complet. Il peut tout faire. A n'importe quel moment du match, il est capable de trouver la solution. Et des solutions auxquelles l'adversaire ne s'attend pas. »

Ivica Miljkovic, l'un des plus anciens et expérimentés coéquipiers de Vabec ajoute : « Vabec est un problème insoluble pour la défense adverse. Il tire avec les deux pieds. Jamais il n'y eut un tel joueur... Il est d'une valeur inestimable pour notre équipe. » Petite parenthèse : les propos de Miljkovic me rappelle fortement ceux de Christian Sarramagna à l'issue d'un Brest-Montpellier (Trophée des Champions en juin 1981) : « Il n'y a rien à faire contre un tel joueur. Et en plus il est aussi fort des deux pieds. » Propos rapportés par mon père lui-même, qui avait pu discuter avec l'ancien Stéphanois dans le car des joueurs montpelliérains, car conduit par mon grand-père (chauffeur et gérant d'une entreprise de transports aux tarifs sûrement attractifs puisque Guy Roux faisait toujours appel  à ses services). Fin de la parenthèse. Vous connaissez la suite de l'histoire, la Yougoslavie perd les demi-finales face à la RFA  et joue la petite finale face aux Pays-Bas à Zagreb, sans Vabec et devant... 6766 spectateurs (ils étaient 36917 pour le match face au Pays de Galles!). Quant à Vabec, il ne jouera plus jamais pour l'équipe nationale yougoslave. Pourtant, lors de la saison 1981-82 ses exploits brestois, notamment relayés par Halilhodžić  et Šurjak , arrivent jusqu'aux oreilles du sélectionneur Miljanić (oui, le même qu'en 1974). Le sélectionneur, plusieurs fois annoncé par la presse dans les tribunes de l'Armoricaine, ne daignera finalement jamais se déplacer.

Sources : 

Tempo n°530 du 21 avril 1976,

Et voici les deux vignettes de l'Euro 76 qui mettent en scène Drago VABEC, la n°55 et la n°80 :

1 commentaire:

  1. merci pour cet article très complet. Par contre tu traites énormément de l'Inter en particulier, j'aimerais bien voir un peu plus d'autres Serie A, comme la Lazio par exemple...

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