Le 4 mai 1949 a changé l’histoire du football, tout du moins celle du football italien. Si l’avion qui transportait la meilleure équipe de la planète, le Gran Torino, ne s’était pas écrasé à Superga, peut-être l’Italie aurait été la première sélection trois fois championne du monde, avec trois couronnes consécutives. Peut-être nous ne connaîtrions pas le mot catenaccio et le calcio symboliserait un football offensif, un football champagne (même qu’on dirait football Brachetto, du non de ce vin rouge du Piemont). Peut-être ? Seulement il y a eu ce 4 mai 1949 et tout est la faute de cette colline nommée Superga où figure une imposante basilique qui surplombe la plaine du Pô à quelques kilomètres de Turin. Aujourd’hui ce lieu porte à tout jamais le deuil de la tragédie de Superga, l’accident aérien qui mis fin au "Gran Torino", la meilleur équipe du monde à ce moment-là. Le 4 mai 1949 à 17 heures 03, l’appareil FIAT G-212 de la compagnie italienne Aeritalia, transportant l’équipe et l’encadrement du Torino A.C. revenant d’un match amical disputé à Lisbonne contre le Benfica, s’écrasait contre la partie inférieure de la basilique de Superga.
Aux côtés des membres
de l'équipage, dix-huit vedettes du football, les entraîneurs Erbestein et
Lievesley, les dirigeant Agnisetta et Civalleri, le soigneur Cortina, ainsi que
les journalistes sportifs Casalbore, Cavallero et Tossati, trouvèrent la mort
dans cette catastrophe aérienne. La nouvelle du crash se répandit rapidement
dans la population turinoise et notamment parmi la classe ouvrière qui
soutenait ce fier rival de la Juventus, le club de la FIAT (qui représentait le
patronat). Il y a toujours eu cette dualité entre supporters de la Juventus
(qui est plutôt le club de la région du Piémont) et ceux du Torino (dont les
supporters sont majoritairement des résidents de la ville de Turin et surtout
des quartiers populaires et ouvriers de la ville). Mais ce qui frappe les
esprits après cette terrible tragédie, c’est le spectaculaire mouvement de
solidarité qui a parcouru l’Europe et l’Italie. Les signes de sympathie (au
sens propre du terme, du grec sympathos qui signifie « souffrir avec »)
se multiplient.
On assiste alors, à l’alignement de jeunes par tous les équipes
du Calcio dans les dernières journées du championnat pour jouer dans les mêmes
conditions que le Torino. Deux jours
plus tard, 500 000 personnes (certains parlent d’un million) accompagnaient le
convoi funèbre piazza Castello, l'une des plus grandes places de Turin et les
obsèques étaient célébrées en présence de Giulio Andreotti alors
sous-secrétaire d'Etat représentant le président du conseil italien Alcide De
Gasperi. Le désastre connut aussi un fort retentissement hors des frontières
italiennes. Dans l'hexagone, étaient pleurées les disparitions des deux
Italiens de France acquis par le club italien en 1948 : Emile Bongiorni,
l'avant-centre du Racing Club de Paris, et Roger Grava, l'ancien ailier gauche
du Club Olympique Roubaix-Tourcoing. Avant la finale de la Coupe de France
Racing-Lille, les Racingmen se relayèrent autour d'une chapelle ardente dressée
sous la tribune officielle du Parc des Princes. De son côté, la FIFA décida de
faire respecter une minute de silence sur les terrains de football du monde
entier le dimanche 7 mai, alors que le club argentin de River Plate jouait
plusieurs matches au profit des veuves et des orphelins des disparus et
abandonnera même à certaines occasions son célèbre maillot blanc à bande rouge
pour jouer avec un maillot grenat en hommage au Torino (voir le sujet :
River Plate a t'il eu le même maillot que Guingamp ?).
Outre le caractère traumatique
d'une catastrophe impliquant des célébrités, le deuil de la capitale
piémontaise célébrait une équipe record et au-delà le club symbole d'une
époque. Le président, Ferruccio Novo, ex joueur et ex formateur, commença à
construire l’équipe en 1942, en pleine guerre, avec l’incorporation des deux
étoiles du Venise, Mazzola et Loik. Cette saison, 1942-1943, il gagna le
scudetto. Avec la guerre la ligue fut paralysée. Il n’y a plus eu de
compétition jusqu’à 1945. À ce moment là, le Gran Torino était déjà irrésistible.
L’équipe jouait avec un système ultra
offensif, délaissant assez les positions de défenses. La conception était
l’œuvre du directeur technique Ernst Ebstein, un hongrois d’origine juive qui,
en raison des lois sur la race avait dû travailler dans la clandestinité et,
malgré tout, il a fini dans un camp de concentration, duquel il pu s’enfuir.
Ebstein ne voulait pas d’un jeu ultra défensif, qui commençait déjà à voir le
jour dans le calcio, notamment chez les deux grands rivaux du Toro, l’Inter et
la Juve. De fait, le Gran Torino jouait avec deux centraux très techniques,
Ballarin et Maroso, et les cinq milieux de terrain typiques du système anglais,
dirigées par Valentino Mazzola. Sa légende se fit réelle pendant la saison
1947-1948 avec 125 buts en 40 matchs. Cette manière de jouer si fantastique, se
déroulait dans un contexte difficile, celui de l’après-guerre et dans une ville
ayant subi des bombardements. La virtuosité du Torino, ses records faisaient
oublier les difficultés du moment et les horreurs du passé et faisait croire à
la possibilité d’un meilleur futur pour l’Italie avec ce football enivrant. Le
"Gran Torino" reste aujourd’hui l’équipe qui a remporté le plus de titres
consécutifs en Italie avec 5 couronnes d’affilées en 1943, 1946, 1947,1948 et
1949 (titre posthume après la catastrophe), le championnat n'ayant pas eu lieu
en 1944 et 1945 pour les raisons que l'on sait. Mais l’influence du Toro ne se
limitait pas au Calcio, il influait aussi sur la Sqaudra Azzura.
Pour Vittorio Pozzo, l’entraineur
qui a gagné pour l’Italie les coupes du monde de 1934 et 1938, refaire une
sélection après la guerre s’est avéré simple : huit membres du Gran Torino
(Bacigalupo, Ballarin, Castigliano, Loik, Maroso, Mazzola, Menti et Rigamonti)
étaient des titulaires indiscutables de la Squadra Azzura. Parfois, comme dans la
victoire historique contre la mythique Hongrie, la nazionale azzurra alignait
jusqu’à à dix joueurs du Torino. L’Italie se profilait comme le grand favori
pour le Mondial de 1950, au Brésil. Cette excellence sportive
s'inscrivait dans un contexte historique difficile, celui de la reconstruction
d'une Italie vaincue et partiellement sous tutelle et dans une ville qui avait
subi les bombardements alliés et connu les affres des combats. La virtuosité du
Torino, ses records faisaient oublier en quelque sorte les difficultés du
moment et les horreurs du passé et proposaient une image rationnelle et optimiste
du futur de l'Italie. Les succès du club renforçaient encore auprès des
ouvriers de Turin l'aura granata (grenat, la couleur du maillot) d'une équipe
qui leur permettait de prendre deux fois par an une revanche sur l'équipe du
patron, la Juventus. L'édition turinoise de L'Unità, l'organe du Parti
Communiste Italien, ne décrivait-il pas les vedettes du Torino comme
d'authentiques représentants du prolétariat et du progressisme ? Vénérés dans un culte doloriste
et un peu masochiste, les « martyrs » de Superga sont devenus un mythe faisant
oublier les faiblesses structurelles d'un club ne bénéficiant pas d'un public
aussi nourri que ses rivaux milanais et romains où même du voisin turinois.
Dans les années 70 le Toro reviendra au sommet (Voir le sujet : TORINOAssociazione Calcio 1975-76) et continuera à être une équipe européenne dans
les années 80 (quelle déculottée ils avaient infligé au FC Nantes en 1986-87)
avant de sombrer inexorablement vers l’anonymat. Aujourd’hui le Toro est
redescendu en Serie B mais à quelques encablures de la fin, est seule en tête
du classement et peu raisonnablement envisagé un retour en Serie A pour l’exercice
2012-13. Enfin pour conclure sur cette tragédie, une anecdote qui me plait, en
1960, Sandro Mazzola, le fils de Valentino le capitaine mythique du "Gran
Torino", qui avait six ans en 1949, venait de signer pour l’Inter. A 18
ans, il du jouer contre le Real Madrid,
champion d’Europe. Le Madrid gagna. Après le match, Puskas s’est approché de
Mazzola, il lui a donné la main et il lui a dit des mots : « J’ai connu ton
père et j’ai joué contre lui. Je crois que tu es digne d’être son fils ».
Et une autre série de vignettes, celles de Lavazza, le célèbre torréfacteur. Il manque 3 joueurs victime de la catastrophe mais bien que je les ai trouvés sur internet, elels était d'une qualité trop médiocre, c'est la raison pour laquelle ne figure sur la planche ci-dessous que 15 des 18 joueurs qui ont péris dans cette tragédie :
Le désastre de Superga sur We AreFootball.fr
Le « Gran Torino » par Footixetteet le sport.fr
Merci beaucoup pour ce récit très instructif !
RépondreSupprimer