Euro 1984 - Luis ARCONADA


Voici un document exceptionnel, issu d’un entretien avec un journaliste de France Football avec Luis Arconada avant la finale du championnat d’Europe qui allait changer sa carrière. Pour vous remettre dans le contexte, l’Espagne décriée au début de l’Euro se qualifie in-extremis pour les demi-finales. En effet après deux matchs nuls face à la Roumanie et au Portugal, c’est lors de la dernière minute du dernier match face à la RFA que l’Espagne obtient son sésame grâce à un but de Maceda, le seul du match. Avant cette 90ème minute Arconada avait multiplié les parades pour maintenir les espagnols en vie face à la machine allemande. En demi-finale rebelote, face à la machine danoise. Arconada tient la baraque et l’Espagne se qualifie aux tirs aux buts pour la finale au Parc des Princes face à la France de Platini.  C’est à quelques jours de cette finale qu’Arconada, revient sur sa carrière et sur le jeu de son équipe avant ce grand rendez-vous. Le capitaine espagnol est alors une personnalité influente, respectée et écoutée de l'équipe d'Espagne. Son autorité morale s'exprime aussi bien dans la coulisse que sur le terrain. Est-ce normal, dans la mesure où il a été choisi comme capitaine ? Pas tout à fait. Car le brassard va directement et automatiquement au joueur qui possède le plus de sélections selon les règles en vigueur au sein de la « roja ». Santillana (trente et un ans) et Camacho (trente ans) sont plus vieux qu'Arconada, lequel fête son trentième anniversaire la veille de la finale, mais ils possèdent moins de capes : Cinquante et une pour tous les deux contre soixante au gardien de la Real Sociedad. « Je ne suis pas le patron », explique Luis, « mais je fais partie des trois ou quatre joueurs qui ont un peu plus de poids que les autres. Question d'expérience. Il n'empêche que personne ne fait la loi dans le groupe. Au contraire, il y a beaucoup de discussions entre les joueurs et les problèmes se règlent en commun ». Sans être le patron, Arconada est bien le chef de file de l'équipe d'Espagne. C'est lui, par exemple, qui discute les primes et les contrats publicitaires. Rien d'étonnant ? Si, car il s'agit, en fait, d'un retour en grâce. Après la faillite des Espagnols Il y a deux ans dans leur mondial, Arconada n'avait pas été épargné par les violentes critiques qui ont touché la formation de Santamaria. Il avait même été tenu pour principal responsable de l'échec. Beaucoup pensaient qu'il ne se remettrait pas d'un coup pareil. A tort. La trajectoire de ce Basque de naissance et de cœur n'en est que plus originale.

En 1980, au cours du championnat d’Europe Italien, Il avait été désigné meilleur gardien du tournoi et faisait figure de spécialiste numéro un en Europe, voire du monde. Et puis au Mondial, presque tout son crédit s'est envolé dans le naufrage qu'a connu la sélection ibérique sur ses terres. Pas en grande forme à cette époque-là et préoccupé par des activités publicitaires, Il manifesta une fébrilité qu'on ne lui connaissait pas. Une erreur de sa part permit à l'Irlandais Armstrong d'inscrire le but qui envoyait l'Espagne dans le groupe de l'Allemagne et de l'Angleterre au deuxième tour, au lieu de se retrouver dans celui de la France et de l'Autriche. Arconada sur la sellette. Deux autres « toiles» face à la RFA, qui sonnaient le glas des espérances de l'Espagne, ont achevé de discréditer celui que l'Espagne considérait comme le meilleur gardien du pays avec son prédécesseur José Iribar et aussi Ricardo Zamora. Au lieu d'être aujourd'hui aux oubliettes, Luis Arconada a remonté la pente. Il est l'un des quatre rescapés du Mondial dans l'équipe venue en France disputer l'Euro 84, avec Gordillo, Santillana et Carrasco. Et il n’y ap as de place au hasard tant il est resté sûr et efficace, notamment devant l'Allemagne, quand il a plusieurs fois sauvé la mise sur des tirs d'Allofs. Décidément, Arconada est inspiré par les Championnats d'Europe des nations. Ce retournement de situation est surprenant, car plutôt rare au niveau International. Mais il n'étonne pas du tout l'intéressé.


« En 1982, j'ai été tenu pour responsable parce que j'étais le capitaine et que j'occupais un poste à hautes responsabilités, donc très exposé à la critique. Mais, sincèrement, je ne suis pas meilleur aujourd'hui qu'hier. Comme toute l'équipe, je bénéficie seulement d'un peu plus de chance, d'un peu plus de réussite. Si mes poteaux ne m'avalent pas sauvé trois fois en première mi-temps contre l'Allemagne, je ne serais pas là pour vous parler. Le football tient vraiment à bien peu de chose. Je dis toujours que je redoute moins de perdre ou de mal jouer que d'être blessé. C'est là ma hantise. Un jour, je ne jouerai plus et je ne veux pas être diminué. C'est le plus important pour moi. » Tel est Luis Miguel Arconada. Un homme d'une lucidité et d'une gentillesse jamais démenties. Un homme qui sait ce qu'il veut et qui le dit. Basque jusqu'au bout des ongles, Il n'a jamais voulu quitter sa ville natale de San Sebastian et le club qui l'a formé, la Real Sociedad. Ce ne sont pourtant pas les propositions qui lui ont manquées depuis ses débuts internationaux en 1978. Les plus grands clubs espagnols (Barcelone et Real Madrid) et européens n'ont Jamais réussi à le décider. Il en tire d'ailleurs une certaine fierté, celle d'être basque et de vouloir le rester. « Cela n'a pas toujours été facile. Les autres clubs espagnols m'en ont voulu. J'ai reçu des menaces d'enlèvement. Bien sûr, j'aurais pu gagner beaucoup d'argent ailleurs, mais cela m'intéresse moins que d'être bien dans ma peau et dans mon environnement. J'aime tout simplement mon pays. J'en suis Imprégné ». A tel point que si Arconada n'avait pas été footballeur, il aurait voulu devenir joueur ... de pelote basque.

Tout un symbole. Mais la question ne s'est pas posée. Arconada, qui a tout de même encore quelques belles années devant lui avant de penser à l’après football, a encore de grandes ambitions, lui qui vient pourtant d’être sacré champion d’Espagne en 1982 et 1983 avec son club de cœur devant les ténors de Madrid et de Barcelone. « J'espère, en effet, ne pas en rester là. Avec deux titres de champion et une demi-finale de Coupe d'Europe contre Hambourg, la saison dernière, mon palmarès n'est pas assez fourni! De toute façon, les gardiens jouent souvent plus longtemps que les joueurs de champ. Personnellement, je n'ai d'autre secret que le travail. Je suis un malade de l'entrainement. C'est d'ailleurs en cultivant mes réflexes et surtout ma détente que j'arrive à compenser les quelques centimètres qui me manquent ». Professionnel sérieux, Luis Arconada est un modèle de régularité, ce qui lui a permis de devenir le recordman des sélections dans son pays, la saison dernière, avec cinquante-deux capes. Aujourd'hui, Il en compte soixante tout rond et ce n'est pas fini puisque son remplaçant en équipe nationale, le Sévillan Francisco Buyo, n'a pas saisi sa chance lors de la blessure au genou qu'a connu Arconada à la fin de l'année dernière. Buyo a gardé les buts espagnols contre Malte (12-1) et la Hongrie (0-1) sans faire oublier le titulaire. Luis a donc disputé tous les matches de qualification à l'Euro 84 sauf un, celui de Malte. Les insinuations douteuses et le parfum de scandale qui ont accompagné le score fleuve de cette rencontre le laissent de marbre (en retrait par rapport à la Hollande, il fallait aux espagnols une victoire par 11 buts d’écarts pour espérer doubler les Pays-Bas dans la dernière ligne droite). La régularité du résultat, donc la qualification de l'Espagne, est pour lui évidente. On s'en serait douté. Mais son explication de l'exploit est particulièrement intéressante car elle répond également aux interrogations soulevées par l'équipe espagnole, au premier tour de l'Euro 84, à propos de son incroyable et crispante propension à ne se livrer qu'épisodiquement, quand les circonstances le réclament.

Arconada s’explique : « Le football que pratiquent les espagnols est un jeu en rafales, c'est-à-dire qu'il n'atteint son meilleur niveau que par éclairs sans que cela procède d'une volonté délibérée. C'est dans la tête que cela se passe, mais de façon inconsciente. Tous les latins connaissent ce problème de manière plus ou moins aiguë. Quelquefois, ça coûte cher au niveau des résultats et de la régularité. Mais cette conception des choses permet de réaliser des exploits comme celui de Malte. Il fallait gagner par onze buts d'écart pour se qualifier, nous l'avons fait. Je suis persuadé que si les joueurs hollandais avalent été placés dans les mêmes conditions que nous, Ils n'auraient pas battu Malte par 12 à 1. Pour le premier tour de l'Euro 84, c'est exactement pareil ; à la mi-temps du match contre la RFA, nous étions au pied du mur. Il fallait attaquer, tenter, oser. Nous l'avons fait. Mais je ne dis pas que ça réussit à chaque fois. Ce serait trop beau ! Simplement, j'explique ainsi les différences de rythme et d'inspiration que nous connaissons. A partir de là, l'incertitude du football prime. Le but de Maceda, face à l'Allemagne, n'est pas grand-chose en lui-même, mais Il a changé complètement l'image de l'équipe. Tout aurait pu être laid, alors que tout a été beau grâce à lui. Le travail de deux années est ainsi sanctionné par une sorte de loterie, une phase de jeu aléatoire ». La justesse d'analyse de Luis Arconada, qui s'exprime d'ailleurs très convenablement en français, n'échappera à personne. Sa théorie sur le football latin et sur le rôle que joue le résultat dans l'appréciation de la manière avec laquelle Il est obtenu le conduit à cette constatation : « Il ne sert à rien de perdre en jouant bien, mieux vaut gagner en jouant mal. Toutes les critiques s'effacent quand on dit : oui, mais ils ont gagné. Prenons le cas de l'équipe d'Espagne de l'Euro 84 que l'on présentait comme étant meilleur que celle du Mondial 1982. Après deux matches contre le Portugal et la Roumanie, tout le monde pensait l'inverse et, depuis notre victoire sur l'Allemagne, on est revenu au jugement de départ. La vérité, c'est que si les joueurs ont beaucoup changé, l'équipe n'est ni plus forte ni moins forte que celle du Mondial, elle est sensiblement de la même valeur ».

Grand joueur, Il est aussi un technicien avisé et quand arrive le jour de la grande finale, c’est lui qui conduit ses troupes pour empêcher le sacre annoncé de la bande à Platoche. Le 27 juin 1984, le lendemain de son anniversaire donc, Arconada pénètre sur le terrain avec la ferme intention de déjouer tous les pronostics et il n’est pas loin d’y arriver. La première mi-temps de cette finale bien qu’intense est truffée de coups francs, de coups tordus et de coups de gueule. Non seulement les espagnols tiennent la dragée haute aux français et les font déjouer mais il aurait pu ouvrir le score en première période. Bossis fauche un espagnol à la limite de la surface de réparation mais sensiblement à l’intérieur, Coup-franc ? Pénalty ? Non l’arbitre n’a rien vu ou n’a pas voulu voir et siffle la mi-temps sur ce score de 0-0. Les français reviennent des vestiaires avec de meilleures dispositions mais pas l’arbitre. 57ème minute, Bernard Lacombe plonge devant la surface d’Arconada ?  Il n’y a pas de faute mais ça n’empêche pas l’arbitre de siffler. Coup franc à l’entrée de la surface, le maitre Platini pose le ballon. Il va tirer un coup franc dans son jardin, devant ce but où il marqué face à la Bulgarie 1977, la Hollande 1981 et bien d’autres… Un coup-franc devant la surface avec Platini en face c’est comme un pénalty pour l’équipe de France. Arconada sait tout cela. Il a peur. Tellement peur qu’il pousse un ouf de soulagement quand il voit la frappe raté de Platini, quand il recueille le ballon calmement. Seulement c’est en poussant ce ouf de soulagement qu’il fait pénétrer lui-même le ballon dans ses buts. Il aurait du retenir son souffle jusqu’au bout.
D’un côté la faute de main la plus invraisemblable depuis l’invention de la main. De l’autre toutes les réussites pour le numéro 10 français qui est sur le toit du monde pendant cet Euro. Incroyable dénouement pour cette finale, Platini rentre dans l’histoire avec 9 buts en 5 matchs et Arconada fait rentrer son nom dans la postérité en même temps que le ballon rentrait dans sa cage. La carrière d’Arconada s’est arrêtée net le lendemain de son trentième anniversaire. Voici un document assez rare, l’interview d’Arconada 20 ans après quand il revoit ce but.



8 ans après que Panenka est laissé son nom à une action lors d’une autre finale de championnat d’Europe, c’est au tour d’Arconada de faire rentrer le terme « d’Arconada » dans le jargon footballistique. Pour marquer cet évènement, voici en cadeau deux vignettes pour l’album OSP-EURO 1972-1992 lié au gardien et à sa boulette, la plus célèbre de l’histoire du football européen. Voici les vignettes N°149 et N°168


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