Quand Platini n'était pas Platinissimo

Janvier 1983, Platini est à la Juventus depuis 6 mois et a cette époque, on ne parlait ni de la Coupe d'Europe ni du titre du meilleur buteur. Et, lorsqu'on évoquait Michel Platini dans ces premiers jours de cette nouvelle année, c'était pour l'accuser de tous les maux, pour chercher les raisons de son effacement au sein de la Juventus ou pour le plaindre de s'être embarqué dans cette galère italienne. En France il était une idole, il avait emmené la France en Espagne avec ses coups-francs et les bleus avaient fait rêver tout le pays jusqu’à cette maudite demi-finale de Séville mais 6 mois étaient passés et Platoche n’avait fait trembler les filets seulement 4 fois en Série A. Lui essayait de garder la tête froide au milieu des remous de la presse italienne notamment qui menaçaient de le submerger, mais les coups de cafard étaient aussi nombreux au rendez-vous que les coups francs dans le Calcio.

« Ce qu'il faudrait seulement c'est que je puisse imposer ma façon de jouer. J'adore le jeu court, avec des redoublements latéraux et des appuis. Ici, on aime et on prône un jeu long où les demis doivent essentiellement soutenir les attaquants. Ils sont champions du monde, alors ils ont raison. Mais j'avoue que ce n'est pas ma conception du football. » Les dépositaires du jeu de la Vieille Dame étaient Scirea, Gentile ou Cabrini. Trois « bourrins », dirait-on chez nous comparé à notre Platoche national. Trois champions du monde aussi rétorquerait t’on de l’autre côté des Alpes. Et on ne discute pas avec des champions du monde! On n'essaie pas d'imposer ses vues, lorsque, petit Français, on le lui répétait souvent, on n'a rien gagné. Et puis Platini devait être bien content d'évoluer dans une grande équipe. « C'est vrai, c'est un souvenir que je garderai toute ma vie. C'est fantastique d'être dans un club pareil, de jouer devant plus de quarante mille personnes tous les dimanches, de se dire qu'on va peut-être gagner la Coupe d'Europe. Et de vivre le football italien. Chaque match ici est un événement de la taille d'un quart de finale de Coupe d'Europe chez nous. Il n'est pas un Italien, avec le concours de pronostics, qui n'y pense pas. Le dimanche, il y a la messe le matin et le foot l'après-midi. Toutes les radios sont en direct, les télés passent en surimpression l'évolution des scores au fur et a mesure. C'est dingue, fou, délirant mais - il ne faut pas cracher dans la soupe - pas toujours désagréable. Pourtant, lorsqu'il y a toujours plus de public, plus de passion, plus d'argent, il est bien difficile de garder autant de plaisir dans le jeu. » Plaisir. .. Platini avait lâché le mot. 

En France il était rayonnant et, lorsqu'il paraissait sur le terrain, il symbolisait la joie de jouer. Ici on ne pouvait s'empêcher de le trouver sombre. « Ce n'est pas vrai. A l'entraînement, je ris souvent. Et si samedi dernier Giovanni Trapattoni n'était pas content que Tardelli et moi nous soyons accrochés, ce n'est pas grave. Tardelli est mon copain et on a des mots avec les gens qu'on aime bien. Pas avec ceux qu'on ignore. Et puis Turin est une ville splendide. Avec Crystèle, nous allons souvent manger un risotto au champagne qui a lui seul vaudrait le déplacement en Italie. Je suis totalement intégré, même si, sur le terrain, ma notion du plaisir dans le jeu a évolué. Cela ne date d'ailleurs pas d'aujourd'hui. Lors de France-Hollande qualificatif il la Coupe du Monde, il y avait cinquante mille fusils qui s'étaient braqués sur Hidalgo en cas de défaite. Dans notre Juventus-Standard de Liège, il y avait soixante-dix mille pistolets pointés sur nous si nous n'avions pas éliminé les Belges. Alors la notion de plaisir ... A la Juventus plus encore qu'ailleurs, on n'est pas la pour jouer mais pour vaincre ». Mais la Juventus ne gagnait plus. On commençait a grogner dans les chaumières du Piémont. Certes, Platini n'était pas encore au banc des accusés, mais ça venait. « Je crois qu'il ne s'entraîne pas assez » pouvait t’on entendre dans les travées du Stadio Communale, «Votre Platini, il pense trop il l'argent », avait affirmé un dirigeant de Gênes. Un journaliste d'une petite station de télé l'avait même pris a partie en le traitant de «signorino ». Quelque chose dans le genre de « petit monsieur », qu'on verrait bien en gants blancs avec des allures efféminées. Le peuple turinois continuait pourtant à le soutenir. « Ici, on m'aime bien. J'ai toujours des gosses qui me demandent des autographes et, lorsque je réussis quelque chose de bien sur le terrain, tout le monde chante La Marseillaise. Cette histoire de coups de poing sur ma voiture après le dernier match à Turin était complètement fausse. Ce jour-la, j'étais dans la voiture de Battiston venu passer les fêtes avec nous. C'est Marocchino qui a eu affaire il deux ou trois excités et ma Range Rover (toujours immatriculée a Saint-Etienne) est intacte.» 


L'entraîneur Trapattoni était aussi sur la sellette. Comme chaque fois qu'une équipe est en baisse. « Platini est mal employé », avait lancé José Altafini , une des plus grandes vedettes du football italien de ces dernières années. « Il y a trop de coqs dans le poulailler de la Juve », avait aussi claironné un autre. Mais l'entraîneur avait déjà lancé sa contre-attaque. Sur qui reporter les responsabilités ? Sur les joueurs italiens ? Impossible, il s étaient champions du monde et idolâtrés. Sur les étrangers alors. C'était commencé. Par petites touches. Fines et rusées « Michele, per favore, non parlare piu (Michel, s' il te plaît, ne parle plus », gémissait l'entraîneur sur six colonnes dans le journal Tutto Sport et certains observateurs disaient que finalement « Le plus grand ennemi de Platini, c'est Trapattoni. » 


De quoi faire frissonner lorsqu'on sait ce qu'est un entraîneur dans un club italien. Il est un général, un chef, un maître. Il pense pour l'équipe. Il prépare tout. La tactique et les combinaisons, même sur les touches et les coups francs. Le joueur n'a plus à réfléchir ou à rêver. 

Et, à la Juve, le schéma était particulièrement rigoureux. Une défense individuelle, impitoyable, et une relance des arrières systématiquement en profondeur pour Bettega, Marocchino ou Paolo Rossi , lorsqu'il n'était pas blessé. « Ainsi bâtie, notre équipe est une formidable machine de contre-attaque qui n'est jamais meilleure que lorsqu'elle rencontre les grands, confie Platini. Nos victimes cette saison ont quand même été Rome, Naples, Florence, Torino ou le Standard de Liège. Mais lorsque nous affrontons les petits, lorsqu'il faut prendre le jeu à notre compte, les choses se gâtent. Un peu à l'image de l'Italie qui peine devant le Pérou, le Cameroun, la Roumanie ou la Suisse, mais crucifie l'Argentine, le Brésil et l'Allemagne.» Ce qu'il ne voulait pas dire à voix haute aussi c'est qu'alors la Juve jouait comme une équipe qui avait peur des autres. Sans esprit conquérant. Sans circulation de balle. Alors lorsque Platini voulait revenir chercher le ballon ou se démarquer sur les côtés, il se mettait complètement hors du système. Etranger dans ce qui était loin d'être un paradis. Ce qu'il ne disait pas non plus, ce qu'il refusait que l'on sache, c'est qu'il souffrait atrocement de cette pubalgie qui le minait depuis le Mondial. Une douleur lancinante qui ne le lâchait pas, qui lui interdisait tout entraînement sérieux. « II triche, j'en suis certain, en disant qu' il va à peu près bien, raconte Michel Hidalgo son sélectionneur, Il souffre, c'est évident, et est à 25 % de ses moyens. » Mais Michel Platini voulait tant s'imposer dans son nouveau club, qu'i l ne prenait pas le temps de se soigner. Heureusement, deux hommes allaient passer par là. Dino Zoff d'abord qui sut convaincre son entraîneur que Platini devait être utilisé autrement et qu'il fallait lui confier la direction du jeu. Pierre Faucher ensuite, ce kinésithérapeute de Cachan qui allait le guérir en quelques jours. Alors, mais alors seulement, après avoir tremblé et grondé, l'Italie allait découvrir son Platinissimo ...comme on va le voir très prochainement.

Source : Le livre d'Or du football 1983 de Charles Bietry.

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