Drago VABEC vs Luis FERNANDEZ

Saison 82-83 11ème journée de division 1 : Brest-PSG du 15 octobre 1982. Un sujet de Johann LE ROUX

Peu avant la récente rencontre opposant la Croatie à Israël (3-1), Luis Fernandez, le sélectionneur de l'équipe israélienne a courageusement confié à la presse croate un souvenir peu glorieux: il a évoqué une soirée d'octobre 1982, au Stade Francis Le Blé, durant laquelle il avait vécu un véritable calvaire. Le destin et Georges Peyroche l'avaient placé au mauvais endroit, au mauvais moment: le flanc droit de la défense du Paris-Saint-Germain, en déplacement à Brest. Le jeune joueur (23 ans) allait en effet devoir faire face au meilleur ailier gauche du Championnat de France: le légendaire Drago Vabec.

Dès le début du match, le joueur croate, qui n'ignore rien du tempérament bouillonnant du natif de Tarifa, prend plaisir à tourmenter son garde du corps. A l'aisance technique confondante du Yougoslave, l'ancien joueur de l'AS Minguettes oppose sa fougue, n'hésitant pas parfois à faire preuve de brutalité. Ainsi à la 24ème minute le n°11 se retrouve au sol suite à un vilain geste de Fernandez, méfait commis alors même que le ballon était déjà de l'autre côté du terrain... L'arbitre, M. Di Bernardo et ses assesseurs n'ont rien vu ou rien voulu voir. Drago se relève, bien décidé à rendre la monnaie de sa pièce à son agresseur, mais à sa manière... Le duel entre les deux hommes ressemble de plus en plus à un spectacle tauromachique, avec comme point d'orgue de la faena, l'action suivante, si bien décrite par Louis Le Page, journaliste du Télégramme de Brest:


« Amusé par les tacles rageurs du jeune Luis qui le chargeait comme un taureau mais avait toujours un temps de retard, le Yougoslave mit soudain le pied sur le ballon et fit un signe de la main à Fernandez: Viens, petit, viens le prendre. Un geste théâtral, déplacé, mais qui touchait si juste qu'il déclencha immédiatement un gigantesque Olé! Olé! dans la tribune Foucauld. Et, bien sûr, un tacle vengeur et ravageur du taurillon andalou que l'artiste de Zagreb évita avec une suprême élégance: grand pont sur le fougeux joueur du PSG. Du délire! ».
Le capitaine parisien Dominique Bathenay sentant son co-équipier proche du point de rupture, lui intime alors de changer de flanc : Yannick Guillochon prend en charge l'imprévisible ailier tandis que Fernandez doit s'occuper de Bernard Bureau. Mais Drago n'en a pas terminé avec son « toro de lidia ». En deuxième mi-temps, il s'en va le provoquer sur l'aile droite, lancé par Gérard Bernardet. Plutôt que de vous abreuver de commentaires superflus, je vous laisse admirer l'action en vidéo (but de bureau 54e).
Drago Vabec parachèvera la victoire brestoise (3-1) d'un maître-tir de 25m, laissant cette fois Yannick Guillochon sur place et Baratelli incrédule (la légende dit que ce dernier réajustait ses gants lorsqu'il a vu arriver la frappe puissante et limpide de Vabec).


Visiblement étonné que Luis Fernandez veuille bien se souvenir de ce match cauchemardesque pour lui, Drago Vabec a tenu à s'excuser, presque 30 ans après: « Je suis désolé si mon geste a pu apparaître comme anti-sportif et m'en excuse auprès de Monsieur Fernandez ». La classe Drago! D'ailleurs France Football se fendra de la meilleure note possible alors pour récompenser son match : un 6. De mémoire c'est la note qu'avait eu Joël BATS lors du France-brésil de 1986 ou Basile BOLI lors de la finale de Munich 1993 :


Nous ne résisterons pas néanmoins à vous proposer cette interview qu'avait donnée, à chaud, Drago Vabec (FF du 19 octobre 1982) après cette fameuse rencontre:
Par François de Montvalon:

BREST. - D'abord, Drago Vabec s'est spécialisé dans le rôle de du grand comédien. Une chute par-ici, une chute par-là, un petit tour dans les bras de son vieil ami Luis Fernandez qu'il ne faut pourtant pas chatouiller, un ou deux dribbles superflus pour faire tourner le sang de l'adversaire direct et un carton jaune en prime. C'est le mauvais Vabec, la forte tête.
Et puis le joueur, l'ailier gauche de talent qu'il sait être. On dit de lui qu'il est passé à côté d'une « énorme carrière ». Dans un bon jour, il touche au génial... à l'image du service offert à Bureau sur le deuxième but brestois, à l'image de l'exploit technique réussi pour son propre compte sur le troisième but de son équipe.
C'est un personnage hors du commun. Les réponses qui suivent se suffisent...

Drago Vabec, Brest a réussi une remarquable performance. La meilleure, sans doute depuis le début de la saison.
Un excellent match. Si nous pouvions jouer toujours de la même façon, nous serions champions de France.

Et vous-même, si vous jouiez toujours de cette façon?
On ne peut pas toujours être à son meilleur niveau. Contre Paris, il y avait quinze mille spectateurs, c'est suffisant pour me motiver.

Que pensez-vous de votre but?
J'ai frappé sans trop réfléchir. Je marque souvent des buts comme ça...

Vous pensez souvent au classement des buteurs?
L'an dernier, sans ma blessure, j'aurais terminé à la première place du classement... sans doute. Cette année, Muller est devant. Mais à Bordeaux, tout le monde joue pour lui. Ce n'est pas mon cas.

On dit de vous que vous pouvez être le meilleur ailier gauche du Championnat si vous le voulez...
Je crois que je suis le meilleur. Mais je n'ai jamais été aussi bon qu'il y a trois ans lors de ma première saison à Brest.

On dit aussi que vous parlez trop, que vous avez mauvais caractère.
Ce n'est pas ma faute. Ce sont les arbitres qui ne me protègent pas. Alors, il faut bien se défendre. Contre Paris, c'est vrai, j'ai provoqué Fernandez, parce qu'il cherchait à me faire mal. Et puis, je le connais bien, je sais qu'il est nerveux.

Souhaitez-vous évoluer dans un autre club?
J'ai trente-deux ans et je suis en fin de contrat avec au mois de juin prochain. Qui sait? J'ai failli aller à Paris cette saison...

Nemkovic, un entraîneur yougoslave à Brest. C'est bien pour vous ?
Oui, d'autant que c'est un excellent entraîneur. Et puis il est sérieux. C'est ce qu'il faut pour le Stade Brestois car tout le monde n'est pas (!). Il y a des joueurs qui sortent trop le soir...

Où en sera Brest en fin de saison ?
Peut-être à la quatrième place et qualifié pour la Coupe UEFA.

Stade Brestois saison 82-83
Nous tenons à remercier chaleureusement pour leur aide précieuse: Dr T (Provijest GNK Dinamo), Mrdja, Ðuka Begoviæ, Lanig (Ici c'est Brest !!!!by stade brestois29), Shogun (Foot Nostalgie), Dino Vrbanec (joueur du NK Sloga Čakovec club entraîné par Drago Vabec) auxquels s'ajoute bien sûr Drago Vabec lui-même, pour tout le bonheur qu'il nous a apporté!

Sources:
Le Télégramme de Brest du 16 octobre 1982
France Football du 19 octobre 1982
Le Télégramme du 17 octobre 1999

3 commentaires:

  1. Lu sur Footnos, suite à cet article:
    Shogun "j'avais évoqué avec Drago, en juin 2007, ce fameux duel avec Luis Fernandez. Je lui avais juste demandé pourquoi il avait ainsi ridiculisé le jeune défenseur parisien. Drago m'avait, juste, répondu d'un :
    - c'est ça football .....

    mais voilà, oui, c'est ça le football : il a raison Drago ! 10000 fois raison.... C'est ça qui manque dans le foot actuel : des mecs qui te font lever un stade, qui t'apporte de la fantaisie, de la folie, du plaisir et une technique au-dessus de la moyenne ! carcatériel mais tellement talentueux .....
    des Drago Vabec, on n'en a plus aujourd'hui et on s'ennuie à regarder des matchs souvent sans saveur, sans originalité ....

    Drago, même à 60 ans, il reste tel qu'il a été : ploi, rusé, respectueux, talentueux ... alors que le football est, aujourd'hui, pourri par tant de "branleurs" qui ne voient dans le foot qu'argent, belles voitures et reconnaissance de leur ego ! pfffffff .....

    fan club Drago Vabec "

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  2. Et encore:
    Fred-29: "Tu as tt à fait raison,des mecs comme lui n'existent plus,ils appartiennent à la race des seigneurs,le foot d'aujourd'hui est stéréotype et c'est malheureux.
    Gamin je me souviens l'avoir vu jouer une ou deux fois et c'était impressionnant."

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  3. Pour ceux qui n'y auraient pas prêté attention, on entend clairement le public brestois crier "olé" quand Drago Vabec met dans le vent Luis Fernandez, sur le 2ème but. :-)

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