Mexico 86 : Claudio BORGHI

La France vient de rencontrer le Chili en match amical et à la tête de la Roja il y a un argentin, Claudio BORGHI. Si il n'a pas eu en Europe la carrière qu'on lui prédisait, avant le mondial mexicain, la presse n'avait d'yeux que pour lui. Il faut dire que la carrière du bonhomme a connu une sacré trajectoire, retour sur un destin incroyable. L'histoire d'un joueur d'Amérique du Sud commence souvent en nous rappelant les problèmes dramatiques de ce continent. Celle de Claudio Daniel Borghi ne fait pas exception à la règle. Né à Moron, dans la banlieue de Buenos Aires, la nouvelle étoile de la sélection nationale argentine, c'est un euphémisme que de l'affirmer, n'a pas connu une enfance facile. S'il se révéla. très tôt passionné par le ballon rond, rien ne laissait prévoir Que ce gosse fluet en viendrait un jour à faire se lever un stade entier comme un seul homme. Yeux et cheveux très noirs, « El Bichi » comme on le surnomma très tôt sur les terrains vagues a eu un parcours des plus atypiques. 

Au beau milieu de Castelar, quartier plutôt résidentiel de la capitale, la famille Borghi vivait fort modestement dans la maison des grands-parents. Le salaire de gardien du chef de famille ne suffisait guère à nourrir les ... huit enfants déclarés au registre de l'état civil. Troisième de la ribambelle, Claudio n'en avait pas moins droit à une éducation où la force des liens familiaux et le droit d'aller à l'école permettait d'oublier les différences de rang social avec ses copains de l'endroit. En avait-il d'ailleurs seulement conscience, alors qu'il s'ébattait joyeusement avec eux à la poursuite d'un ballon rond ? Dès l'âge de huit ans, sa grand-mère l'avait pris par la main pour l'inscrire au club de football le plus proche, celui de la compagnie d'électricité, Luz y Fuerza. Petit et maigrichon, le jeune ailier droit... supposé va patienter un an et demi sur la touche : il ne jouera pas le moindre match et finira par reprendre le chemin des parties improvisées dans la rue, devant la demeure familiale. « J'étais franchement mauvais. Mais passionné quand même! » Et puis, un jour de 1975, papa Borghi n'est pas rentré à la maison. Attaque cardiaque. « Ma mère n'avait jamais travaillé. Elle a trouvé un emploi dans un laboratoire vétérinaire. » Et Claudio, lui, a dû abandonner l'école pour aider a faire bouillir la marmite. Sans même avoir terminé le cycle de la communale. Il n'y remettra jamais les pieds. Claudio a alors onze ans. Adieu les études. Bonjour... la vie active. Lever six heures. A sept, il pointe à la porte de l'usine. Et là, huit heures par jour, six jours par semaine, il tresse interminablement des morceaux de fil de fer. Pour en faire ... des cages à oiseaux. On vous laisse deviner pour quel dérisoire salaire. Jusqu'à dix-sept ans, et l'épanouissement de ses dons de footballeur, 

Claudio va ainsi exercer toutes sortes de petits métiers. Il sera employé dans un laboratoire-photo, dans une fabrique de chaussures ... Il trouve quand même la force de rechausser celles à crampons. A onze ans. Au sein du club Mariana Moreno. Mais là encore, l'expérience tourne court. Au bout d'un an. « Je m'étais un peu amélioré. Mais ce n'était toujours pas brillant... ». De nouveau, la rue, les terrains vagues, le soir, après le travail. Et puis un jour, le hasard : ses copains de Mariana Moreno doivent jouer contre le grand club d'Argentinos Juniors. Il leur manque un joueur. Ils demandent à Claudio de compléter l'effectif. Il a quatorze ans. Il n'avait alors goûté qu'au football à cinq. Il va disputer son premier match à onze. En trois ans de terrains vagues, la technique du petit Claudio s'est affinée. A tel point qu'elle séduit les dirigeants d'Argentinos Juniors. Ils lui ouvrent les portes de leur club. Ses progrès sont rapides. A quinze ans, il joue avec les juniors qui en ont dix-huit. Il obtient un titre de champion de Buenos-Aires, et réussit personnellement 22 buts. A seize ans, rebelote : un nouveau titre, même s'il marque moins. En 79-80, Claudio est devenu un très bon joueur. Il évolue en équipe réserve. Il commence à s'entraîner avec l'équipe professionnelle. Il y débutera en octobre 81, il vient juste de souffler ses 17 bougies, disputant d'abord cinq rencontres comme titulaire avant de prendre place sur le banc des remplaçants. Borghi passa des soirées inconfortables. A l'horizontal, le plus souvent. Les défenseurs professionnels jouaient décidément un autre football auquel il lui fallait s'aguerrir. Son manque de poids ne lui permettait pas encore de résister aux chocs. « D'un coté, je savais tout faire avec un ballon, avoue-t-il, mais il me manquait le physique de l'emploi et de aussi de la continuité dans l'effort pour m'imposer dans une surface de réparation ». On le renvoya donc à ses chères études avec les sections jeunes... et à quelques séances de musculation. Argentinos Juniors lutte alors contre la relégation, après avoir dû se séparer de sa star, Diego Maradona. Claudio Borghi ne fera dès lors que des apparitions épisodiques au sein de l'équipe-fanion. Cinq matches en 81, quatre ou cinq encore en 82, deux en 83. Il devra attendre le départ de l'avant-centre Pasculli, qui émigre en Italie, pour être enfin titularisé fin 84, avec d’autres atouts dans son jeu. Désormais les accrochages et l’anti-jeu ne l’impressionne plus. Argentinos Juniors remporte cette année-là le championnat « métropolitain ». En 85, Borghi est titulaire à part entière, son club gagne cette fois le championnat « Nacional »

C'est le début de la grande aventure. Argentinos Juniors enlève la Copa libertadores. En six rencontres, Claudio inscrit sept buts. En décembre, à Tokyo, il est éblouissant lors de la finale intercontinental que son équipe perd de justesse au terme d'un match palpitant contre la Juventus de Michel Platini. Une défaite aux tirs aux buts après un match nul 2-2, a la fin de la rencontre, Borghi est en admiration devant le jeu de Platini : « En voilà un auprès duquel j'aimerais jouer ». Mais même son de cloche chez Platini qui dira dans les journaux italiens que Borghi est « le Picasso du football ». Carlos Bilardo, le sélectionneur argentin, ne peut rester insensible à la révélation d'un tel talent à quelques mois de la Coupe du Monde. La sélection qu'il dirige souffre de l'exode de ses meilleurs joueurs en Europe. Maradona ne peut revenir à Buenos Aires pour toutes les rencontres amicales de préparation. Alors Bilardo appelle Borghi. Il débute face au Mexique, lors d'une rencontre à Los Angeles. Les impresarios argentins, à l'affût de tous les talents qui peuvent intéresser les clubs européens, sonnent l'alerte. 


Au début de l’année 1986 on parle de Claudio Borghi au Racing de Paris, le club parisien propose une belle somme à Argentinos, 1.5 millions de dollars. L’ancien international argentin (mais aussi français) Hector De Bourgoing, conseille à Borghi d’accepter. Seulement, l’offre précoce de RC Paris entraine les velléités de nombreux clubs. La Sampdoria surenchérit avec une offre à 2.5 millions de dollars, Monaco entre aussi dans la danse ainsi que plusieurs clubs espagnols, mais finalement c’est le Milan AC qui rafle la mise avec pourtant une mise inférieure à 2.1 millions de dollars mais un transfert effectif seulement après la saison 1986-87. 

Tout va très vite. En quelques mois, Borghi a vu fondre sur lui les titres, les honneurs, les responsabilités. Il n’a que vingt et un ans. Argentinos Juniors attend beaucoup de lui. La sélection aussi. Tout le remue-ménage autour de son transfert le préoccupe. Pour séduire Bilardo, gagner une place de titulaire pour le Mexique, le brillant technicien accepte aussi de jouer les travailleurs. Le sélectionneur aime les joueurs de tempérament. Il veut démontrer qu'il n'est pas seulement un manieur de ballon génial, qu'il sait aussi défendre et « lutter ». Claudio ne sait pas qu'il fonce tête baissée dans le piège le plus redoutable. En février, il est une première fois expulsé lors d'un match d'Argentinos Juniors. En mars, une deuxième fois. Quand il débarque à Paris pour jouer contre l'équipe de France (voir le sujet France-Argentine du 26 mars 1986), il sait qu'il joue gros. Sa place au Mexique, son transfert en France, en Europe. L'Argentine joue très mal, dans le football de commando imposé par Bilardo. Claudio Borghi gratifie le public du Parc des Princes de quelques gestes techniques qui prouvent l'étendue de sa classe. Puis, devant l'impuissance manifestée par les siens, il perd la tête. Une première faute sur Amoros. Carton jaune. Une deuxième sur Fernandez : carton rouge. Il quitte la pelouse du parc, les larmes aux yeux, alors que les sifflets descendent en cascade des tribunes. En Argentine, on appelle cela un « fracaso »

Borghi regagne Buenos Aires avec un sentiment d'injustice en travers de la gorge. La suite des évènements est tout aussi folklo, lors d’un rassemblement de la sélection, une petite partie d’entrainement. « El Bichi » met une grosse semelle sur le défenseur Clausen, réaction immédiate et bagarre, ils sont séparés par les autres coéquipiers. Clausen est emmené à l’infirmerie, la séance reprend et moins de 10 minutes après, autre semelle sur Ruggieri, bon ami pourtant de Borghi. Réunion et discussion avec le staff. Il a des mots avec Bilardo, dont il n'apprécie guère les méthodes ni les conceptions. Il claque la porte et tourne le dos à la sélection, le gamin n’a pas 21 ans et on est à mois de 3 mois de la coupe du monde. La presse argentine s'interroge : va-t-il revenir sue sa décision ou être écarté définitivement de la sélection ? Bilardo calme le jeu. Vertement critiqué par le secrétaire des sports du gouvernement, il ne peut définitivement se couper d'une opinion publique qui ne l'apprécie en rien. Il accorde une semaine de vacances à Borghi, sage décision quand on connait les raison du pourquoi. En effet comment un garçon si charmant change de jour au lendemain si virulente. Un de ses petits frères confessera à la presse quelques évènements extra-sportifs. Tout d’abord avec sa renommé naissante, Un escroc tente de se faire passer pour son père, mort depuis de longues années ! Si Borghi à la tête sur les épaules, l’escroc le harcèle puis Maman Borghi, sur ce, est victime d'un accident de voiture. Elle s'en sort sans grand dommage, mais Claudio craque. Ces vacances il en avait vraiment besoin. Claudio ira à Mexico. Savoir s'il y sera titulaire est une autre histoire. Ce footballeur qui est avant tout un créateur, un merveilleux technicien, convaincra-t-il Bilardo? Quoi qu'il en soit, l'Europe est désormais avertie de son talent. 

Après le Mexique, il est fort probable qu'il la ralliera. « C'est très important pour moi. Certes, depuis quelques mois, je gagne pas mal d'argent en Argentine. J'en ai d'ailleurs profité pour offrir une maison à ma mère. Mais en Europe, je sais que j'en gagnerai plus et que je pourrai ainsi définitivement mettre ma famille à l'abri du besoin. Mais ce n'est pas tout. L'Europe, pour moi, représente aussi la possibilité d'un éveil sur le plan culturel. A l'image de ce qu'a pu vivre par exemple mon coéquipier Valdano en Espagne. » L'épanouissement intellectuel est devenu l'un des buts importants de la vie de Borghi. Après avoir abandonné l'école, Il a réemprunté le chemin des choses de l'esprit. L'esprit saint en l'occurrence, puisqu' il est devenu mormon. « J'ai suivi un séminaire, pendant quatre ans, tous les matins, de quinze à dix-neuf ans. J'étais obnubilé par l'idée de devenir une bonne personne. J'ai beaucoup appris…» En janvier dernier, Borghi a accordé à nos confrères d'El Grafico une interview à sensation sur le thème. Il y vilipende en vrac les dictateurs, les assassins, l'avortement, la haine, et avoue n'envisager aucune relation sexuelle avant le mariage. Au pays du machisme, et dans le milieu du football, fallait oser! « Je crois à mes principes, cela ne me gêne pas que l'on se moque de moi. » Borghi est ainsi. Entier. Sincère. Si l'on ne partage pas toutes ses idées, son humanisme et sa sensibilité ne peuvent laisser indifférent. Magicien du ballon rond, il a commencé à apprendre que les bons sentiments n'y avaient pas toujours leur place et qu'il est parfois difficile de résister aux influences néfastes. Espérons que le réalisme, celui de Bilardo et de ses pairs, en Argentine ou en Europe, ne sacrifieront pas l'artiste qui est en train de naître.


La suite c’est un mondial en demi-teinte, titulaire contre l’Italie et la Bulgarie au premier tour, Bilardo le sort à la mi-temps du match contre les bulgares face à son faible rendement. On le reverra plus du mondial. Pareil en Italie, il débarque comme prévu à Milan pour débuter la saison 1987-88 mais ce qui n’était pas prévu, c’est que Berlusconi entre-temps a acheté d’autres joueurs étrangers et à l’époque il n’y pas d’arrêts Bosman. D’autant que les autres étrangers du Milan sont des concurrents directs dans le secteur offensif pour Borghi et qu’ils ont pour nom : Ruud GULLIT et Marco VAN BASTEN. Mais BERLUSCONI croit en sa pépite argentine et le prête pour la saison à Come. Hélas Borghi aura beaucoup de mal à s’adapter à le vie italienne et ne reste qu’une saison sur la péninsule, il va faire une pige d’une saison en Suisse, histoire de mettre sa famille à l’abri du besoin et c’est le retour en Amérique du Sud. De retour chez lui, BORGHI va fréquenter les plus grands clubs du continent : River Plate, Flamengo, Independiente avant de s’exiler au Chili puis d’entamer une carrière d’entraineur une fois les crampons raccrochés. Par contre on ne reverra plus jamais en sélection.

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