Mexico 86 : Julio César ROMERO

Avant cette coupe du monde 1986, la grande star du Paraguay n’est pas Roberto CABANAS le futur joueur de Brest et de l’OL. Non les paraguayens ne jurent que par un seul joueur : Julio César ROMERO vedette du club de Rio : Fluminense. Voici un portrait fortement inspiré d’un sujet paru dans un Onze juste avant la coupe du monde au Mexique, qui présentait ce joueur comme une des futures vedettes sur le sol Mexicain. Au-delà de la passion, au-delà du spectacle, au-delà des résultats qui remplissent les peuples de fierté, au-delà de son utilisation politique, au-delà de l'amour pour le jeu et les vertus éducatives que celui-ci peut porter en son sein, le football d'Amérique latine est un formidable véhicule de promotion sociale. L'un des rares, dans des pays où toute autre forme de « réussite » est bien aléatoire. Il en va de même pour Julio César Romero. La dite promotion est d'autant plus saisissante, Qu'elle offre deux particularités : son ampleur et sa soudaineté. Ampleur, quand un jeune homme habitué â une vie simplement ordinaire, souvent difficile, parfois dramatique, se trouve rétribué de son talent très rapidement en milliers, puis en dizaines ou en centaines de milliers de dollars. Soudaineté, parce qu'entre les deux états successifs, il se passe généralement très peu de temps. Le Paraguayen Julio César Romero illustre parfaitement le phénomène. Dans un Paraguay comparable à l'Uruguay quant à ses particularités géographiques, économiques ou politiques (petit pays de trois millions d'habitants, vivant ou survivant de l’élevage bovin et de ses exploitations forestières), les Romero, famille de cinq enfants, vivaient sans grands problèmes mais ne roulaient pas sur l'or pour autant. 

Le père de Julio César était fonctionnaire au ministère des Finances et sa mère, employée des forces aériennes. Une vie laborieuse mais pas de misère, à Luque. vieille ville de cent mille habitants, à dix kilomètres de la capitale Asunción, berceau de la vie artistique du pays. Son géniteur ayant été footballeur semi-pro (le professionnalisme intégral n'existe pas au Paraguay), deux lois champion avec l'Esportivo Luqueno (du nom de la ville précitée), Julio César ne pouvait échapper à un destin tout tracé. Il retarda l'échéance, s'efforçant de suivre le plus longtemps possible des études d'économie. Le football n'était alors qu'un dérivatif ordinaire. Comme cela arrive souvent, une succession de hasards allait changer le cours de l'histoire. Julio César a dix-sept ans quand il décide de s'inscrire à son tour à l'Esportivo Luqueno. Il espère y connaître un peu plus d'émotions que dans les matches du collège. Mais en 77, alors qu'il s'entraîne avec l'équipe réserve, l'entraîneur local lui demande de « dépanner ». ROMERO raconte « Le titulaire au poste d'avant-centre avait mal supporté l'inter saison. Il était complètement hors de forme. J'ai pris sa place. Je ne l'ai plus quittée. » En 78, Julio César entre à l'Université. Il la quitte peu après pour travailler au ministère des Finances avec son père. Il continue vaguement d'étudier le soir, après la journée de travail et l'entraînement en fin d'après-midi. Ses performances sont plutôt bonnes : passé milieu de terrain, on remarque sa technique, sa vivacité, sa résistance et sa relative efficacité (une dizaine de buts par saison). Dès 78, on l'appelle en sélection juniors. Il participe aux championnats sud-américains de la catégorie en janvier 79, et le Paraguay ne s'incline qu'en finale face à l'Uruguay. Il est le meilleur buteur de l'épreuve (6 réalisations). Qualifiés pour le Mondial junior, les Paraguayens se retrouvent au Japon en août 79. Julio César Romero s'y distingue encore. Il est le dauphin d'un certain Maradona pour le titre de meilleur joueur. 

Au retour, Mirandé l'appelle en sélection A. Et à la surprise générale, le Paraguay remporte la Copa America 1979. Romero marque un but décisif à Asunci6n contre le Brésil, en demi-finale. Deux autres en finale contre le Chili. Cette fois, impossible d'échapper à l'engrenage de la gloire. Bogossian, imprésario qui recrute pour le compte du Cosmos, rend visite à Julio César. Celui-ci, timide, presque effacé dès lors qu'il délace ses chaussures à crampons, refuse d'abord l'offre du rêve américain. El Norte lui ferait plutôt peur. Mais le contrat proposé mérite réflexion. Au ministère des Finances, Julio César gagne à peine de quoi subvenir à ses besoins, alors qu'il vit toujours dans le giron familial. A l'Esportivo Luqueno, son salaire n'est qu'une ridicule indemnité: 10 dollars par mois! Au Cosmos, on lui en offre... mille fois plus! 10000. Et même s'il devra en céder près de la moitié au fisc, la tentation est trop forte. Voilà donc Romero, en1980, sur la pelouse du Giants Stadium. Il n'a même pas vingt ans. Ses partenaires sont de vieilles gloires en semi-retraite qui ont pour noms : Beckenbauer, Carlos Alberto, Neeskens. Le timide Julio Cesar s'éveille à la vie. Il écoute les conseils des anciens. D'abord perdu dans l'agitation et le tumulte new-yorkais, alors qu'il ne parle même pas anglais, le Portugais Seninho et le gardien Birkenmayer le prennent sous leur coupe. L'adaptation est rapide. Sur le terrain aussi, où il gagne immédiatement ses galons de titulaire. En 80, il marque l'un des trois buts de la victoire du Cosmos sur Fort Lauderdale pour la grande finale du Soccer Bowl. Son total s'élève à quinze. En 81, une méchante blessure au genou le tient éloigné des champs de jeu pendant la moitié de la saison. Il marque tout de même neuf fois. En 82, nouveau titre pour Cosmos. Romero score à dix reprises. En 1983, son total monte à 14. Mais le soccer américain commence à battre de l'aile. Les déficits énormes des clubs nord-américains entraînent une succession de faillites. Bientôt, la N.A.S.L. (North American Soccer League) mettra la clef sous la porte. Il est temps de changer d'air. « D'autant que je commençais à m'ennuyer. Sportivement, ce championnat ne m'apportait plus guère de joies. Ça manquait de compétition. Il y avait une méconnaissance de ce jeu par le public. Il ne s'intéressait qu'aux buteurs ou aux statistiques ... » 


Romero a envie d'aller voir en Europe ce qui s'y passe. Il refuse la proposition du Cosmos pour un nouveau contrat de 5 ans. Il rentre au Paraguay, espérant recevoir bientôt une offre d’Italie, d'Espagne ou de France. En vain. Pendant six mois, vacances forcées. 

C'est son ex-coéquipier Carlos Alberto, devenu directeur du marketing du club de Fluminense, à Rio de Janeiro (il en sera ensuite l'entraîneur), qui va le tirer de son repère. En janvier 84. Le salaire proposé n'est pas aussi juteux. Mais les primes de match (elles n’existaient pas au Cosmos) compensent largement. Romera se met rapidement à la langue portugaise. Le soleil de Rio, la chaleur humaine des Brésiliens l'émerveillent. Il n'est plus le garçon timide débarquant à New York quatre années plus tôt. En 84, Fluminense est champion national. Et champion de Rio. En 85, nouveau titre de champion de Rio. En 86, il se mêle encore à la lutte en tête pour l'obtention de la fameuse « Taça Guanabara ». Très vite, Julio César est devenu l’idole des « torcedores » de Flu. Il n'est plus Romero, mais Romerito. Son jeu a séduit les Brésiliens. Ils lui reconnaissent deux qualités primordiales : la première est sa technique, comme il se doit à Rio, la seconde est son esprit de gagneur. Si en sélection nationale du Paraguay, Romero évolue le plus souvent au poste d'avant-centre, à Fluminense, il se multiplie sur toutes les parties du terrain. Capable d'organiser au milieu (de préférence sur la flanc gauche), de percer en attaque, mais aussi de venir défendre près de sa propre surface, taclant et courant comme le plus accrocheur des défenseurs. Une santé. Romerito, s'il sait être brillant, spectaculaire, ne dédaigne pas le travail obscur. « Je ne suis pas un soliste extraordinaire, concède-t-il. Mais j'ai un jeu assez complet, qui me permet de m'adapter facilement à tous les styles, à tous les systèmes de jeu. » Marié à une Brésilienne, Romero n'est plus obnubilé par l'idée de jouer en Europe. A 26 ans, il se voit bien continuer sa carrière à Rio, où la qualité de sa vie ferait plus d'un envieux.

D'autant qu'il n'est qu'à deux heures d'avion d'Asuncion, où il peut donc retourner fréquemment, notamment pour les matches de l'équipe nationale. Là, près de Luque où il a acquis des terres, il espère, le jour où sonnera l'heure de la reconversion, devenir un éleveur prospère. Pour l'heure, il y est un footballeur adulé, pour lequel le vieux général dictateur Stroessner décroche son téléphone dès lors que sa participation à un match de l'équipe nationale s'avère incertaine. Difficile, pour le pouvoir, de se passer d'un ambassadeur aussi prestigieux que Romerito dès lors que la participation au Mondial (acquise en repêchage contre le Chili) devient possible. Romero n'entretient pas une relation critique avec le régime de son pays. S'il n'ignore rien des atteintes aux droits de l'homme, d'une liberté d'expression étouffée, on comprendra qu'il ne puisse guère se permettre de critiquer. Il en sera peut-être autrement demain, quand le Paraguay (dernier pays d'Amérique du Sud, avec le Chili, où subsiste la dictature) retrouvera une démocratie. Pour l'heure, il se contente d'affirmer qu'il était important de « stabiliser la situation, dans un pays où les révolutions étaient permanentes.» Ou encore que son « pays ne souffre pas de la misère ou de l'analphabétisme qui a cours par exemple au Brésil, au Pérou ou en Argentine ». Souhaitons-lui de voir, demain, un sourire plus radieux sur le visage de ses compatriotes. Et pas seulement pour la bonne performance, à laquelle il croit, de la sélection paraguayenne au Mexique.

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